À FORCE DE TALENT ET D’ENVIES DE CINÉMA, LA BD POURRAIT BIEN PERDRE BLUTCH. EN ATTENDANT, LE FRANÇAIS POUSSE CELLE-CI VERS DES SOMMETS ARTISTIQUES.

Depuis son retour, Blutch est dans tous les bons coups, et sous les projecteurs. Une situation qui doit à la fois amuser et angoisser ce grand timide solitaire de par son métier et la manière dont il l’exerce, fou de dessin et de cinéma.

Le dessin lui doit déjà beaucoup en termes de fous rires, de bons albums et de reconnaissance artistique (les trois ensemble, c’est très rare!); le cinéma, lui, n’en finit pas de le passionner et de lui faire les yeux doux. Seule certitude: Blutch est loin d’avoir fini de nous surprendre, quel que soit le support. Et ce, même si ses doubles de papier sont nombreux, et ses passions récurrentes: l’auteur du Petit Christian ou de Blotch reste insaisissable, même s’il est partout dans ses livres.

Du Petit Christian…

Christian Hincker a mis quelques années pour se dévoiler, en partie et de manière onirique le plus souvent, dans ses bandes dessinées. Découvert dans Fluide Glacial dès la fin des années 80, dans des récits complets tels Waldo’s Bar qui alliaient déjà l’aisance et la culture graphique à un humour décalé, français, intello mais aussi purement poilant, tel Goossens. Blutch amorce son premier virage en 1998, avec Le Petit Christian, récit humoristique mais plein de profondeur et de partis pris graphiques (nous sommes à L’Association) sur… la jeunesse d’un gamin alsacien, mû par deux passions qui nourrissent son imaginaire, qu’il a fécond: la télévision (pour ses films américains) et la bande dessinée (pour ses héros et sa puissance d’évocation). Blutch a toujours nié, sourire en coin, que ce petit Christian soit réellement autobiographique… Dix ans plus tard, il lui donnera une suite, centrée cette fois sur ses premiers émois amoureux. Dans la foulée du premier Petit Christian, Blutch brouillera encore un peu plus les pistes et atteindra les sommets de l’humour et de l’autodérision avec Blotch, toujours chez Fluide: les aventures truculentes et scandaleuses d’un dessinateur d’humour, replet et détestable, dans la France de l’entre-deux-guerres. Un festival de bons mots, de clins d’oeil et de réflexions, encore rigolotes, sur son drôle de métier, et peut-être lui-même.

Depuis, Blutch, le plus libre des auteurs de BD, formé aux Arts décoratifs, Grand Prix d’Angoulême 2010, s’offre des one shots très personnels chez Dupuis ou Futuropolis, tous marqués par une soif d’émotion, l’onirisme et les recherches formelles, baignées de références allant de Jean-Claude Forest à Placide et Muzo -un éclectisme qui ne se retrouve pas toujours dans ses albums exigeants: la légende urbaine lui prête d’ailleurs toujours l’envie de réaliser un album de Tif et Tondu!

… à Lune l’envers

Dans Lune l’envers, sorti il y a quelques semaines, Blutch se dédouble à nouveau, pour mieux nous perdre: s’il y donne son nom à un jeune freluquet actif dans l’édition, c’est au contraire dans le personnage de Lantz, auteur culte gavé d’angoisse face à la vieillesse et la page blanche, que l’auteur cache ses angoisses et le regard amusé mais cynique qu’il jette sur son art. Un art que lui réclame de plus en plus clairement le cinéma: dessinateur cinématographique par excellence, Blutch a eu moult occasions de lui exprimer son amour, y compris en 2011 dans Pour en finir avec le cinéma, son album le plus abscons, mais entièrement voué au cinéma de genre et des années 50, qui a façonné une grande partie de son imaginaire. Blutch a en outre fait une apparition dans le Mammuth de Delépine et Kervern, s’est fendu d’un court-métrage (Peur(s) du noir), vient d’illustrer une pièce de théâtre avec Mathieu Amalric, et fait partie des bonnes surprises de l’ultime film d’Alain Resnais, Aimer, boire et chanter: ses croquis scandent un film lui aussi érudit, fantaisiste et rempli de faux-semblants. Alors que le cinéma français n’en finit plus de découvrir les talents issus de la bande dessinée (Blain, Sfar, Rabaté…), on le voit mal se passer encore longtemps du plus cinéphile des dessinateurs.

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh, PHOTOMONTAGE Bertrand Mandico

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