Didier Stiers Journaliste

L’ANGLAIS NOUS EMMÈNE UNE FOIS DE PLUS SUR LES CHEMINS DE TRAVERSE DE L’ÉLECTRONIQUE. OU COMMENT ÉMOUVOIR EN MARGE DES BEATS…

James Blake

« The Colour in Anything »

DISTRIBUÉ PAR POLYDOR/UNIVERSAL.

8

Sortir son nouvel album à un moment où il n’y en a que pour le buzz Radiohead, alors qu’on en est encore à disserter sur le sens caché du Beyoncé balancé quelques jours auparavant, et quand on se trouve en outre issu de l’immensissime galaxie dubstep, c’est aussi malin, stratégiquement parlant, que d’arriver dans nos cinémas un jour de release du dernier Star Wars quand on est un film d’auteur chilien. Sauf, peut-être, si on s’appelle James Blake et qu’on a un maousse pedigree. Un falsetto reconnaissable entre mille. Un Mercury Prize (en 2013, pour Overgrown). Des remixes notables (pour Drake, Beyoncé…). Et la même Beyoncé pour copine, au point d’apparaître sur son Lemonade (comme coauteur de Pray You Catch Me, featuré sur- et producteur de Forward).

The Colour In Anything est donc le troisième album du Londonien (après James Blake en février 2011 et Overgrown en avril 2013). Soit 17 titres, sous une illu signée par Quentin Blake -juste un homonyme-, illustrateur qui a notamment mis ses couleurs pastel au service de Roald Dahl. Et qui, surtout, sait dessiner les sentiments. La pochette? Un jeune homme solitaire, sur une sorte de rivage désolé, fixe un arbre dans les branches duquel on devine une femme nue, tête vers le bas. Même s’il dit vivre une existence plus colorée depuis un bon moment, le musicien s’est encore plongé dans un bain de profonde mélancolie. Et ses textes n’évoquent pas réellement une joie incommensurable, plutôt des séparations, des histoires d’amour remplacées par le regret, le désespoir ou des promesses qui ne seront pas écoutées. Choose Me, longue plainte entre gospel et r’n’b, en est un concentré…

Dans cette électro de chambre, minimaliste, ou cette pop délicatement électronifiée, c’est selon, le piano acoustique s’est fait plus présent (et s’entend même en solo sur F.o.r.e.v.e.r.). Le beat est souvent discret, exception faite des rythmes presque dance de Modern Soul et du synthétique I Hope My Life. Ailleurs (I Need a Forest Fire, en compagnie de Bon Iver), il naît d’une caisse claire parcimonieuse. Les textures, elles, jouent les contrepoints, installant parfois comme une tension: ici un crescendo un peu anxiogène (Radio Silence, Two Men Down), ailleurs une dissonance (Put That Away and Talk to Me), ou encore des voix trafiquées à l’AutoTune et au Vocoder (Meet You in the Maze).

Introspectif, cet album sur lequel Frank Ocean a oeuvré comme coauteur, Rick Rubin comme coproducteur depuis ses studios de Malibu et Connan Mockasin comme guitariste fait partie de ces disques nocturnes, ceux dont l’écoute en début de nuit peut encore provoquer de drôles de frissons, l’humain n’ayant pas totalement disparu sous le vernis technique.

LE 30/06 À WERCHTER.

DIDIER STIERS

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