Black: « Tout le monde sait que les bandes existent, mais on n’en connaît pas grand-chose »

Black © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Molenbeek et Matonge bousculent la carte d’une capitale redécouverte dans Black d’Adil El Arbi et Bilall Fallah, Roméo et Juliette urbain et violent.

Une station de métro, dans le quartier Nord. Deux groupes de jeunes s’y sont donné rendez-vous pour régler leurs comptes. Les uns sont d’origine nord-africaine, les autres d’origine subsaharienne. Au coeur du conflit, la relation amoureuse entre Marwan et Mavela, deux adolescents défiant les tabous du métissage dans un Bruxelles où l’esprit communautaire est une réalité, où le sens du territoire (Marocains à Molenbeek et Schaerbeek, Congolais à Matonge) s’est développé entre bandes, dont ces bandes urbaines « blacks » et violentes qu’un film propulse au coeur de l’écran à la manière d’un Roméo et Juliette ou d’un West Side Story d’aujourd’hui.

Adil El Arbi et Bilall Fallah offrent une vision inédite de Bruxelles dans un Black intense et percutant. S’il leur arrive de manquer d’équilibre dans leur constat (voir notre critique), leur film a le grand mérite de montrer ce que jusqu’ici le cinéma belge se gardait de cadrer, ou cadrait de loin, sans s’y engager à fond. « Ce monde des bandes, tout le monde sait qu’il existe, mais on n’en connaît pas grand-chose, au fond, explique Bilall Fallah, alors qu’il y a des raisons à leur existence, au fait que des jeunes y adhèrent. » Si l’histoire d’amour entre Marwan et Mavela est au coeur du film, elle est aussi « l’occasion de nous plonger dans ce monde souterrain très dur qui existe à Bruxelles. » « La clé du projet, c’était l’authenticité, poursuit le jeune coréalisateur, diplômé de Sint-Lukas, tant sur le plan des recherches que dans le choix des acteurs, crucial, et des lieux de tournages, dont nous voulions qu’ils donnent un goût de documentaire à la fiction du récit. » Une quête de vérité qui obligeait à tourner « dans des endroits où on n’aime pas trop voir des caméras… » Matonge, bien sûr, et aussi les Marolles, sont de ceux-là, et y filmer généra quelques tensions heureusement surmontées, « et ajoutant du vécu au film. » Faute d’argent et donc aussi de temps, le tournage pourtant compliqué (avec seize personnages) dut se faire à l’arrache, gagnant en grain réaliste aussi dans sa peinture d’un Bruxelles jusque-là peu ou pas exposé à l’écran.

Bilall Fallah (à gauche) et Adil El Arbi (à droite), les réalisateurs de Black.
Bilall Fallah (à gauche) et Adil El Arbi (à droite), les réalisateurs de Black.© DR

La carte et le territoire

Quel chemin parcouru depuis Brussels by Night de Marc Didden, film de 1983 mettant en relief pour la toute première fois un héros issu de l’immigration marocaine(1)! La réalité multiculturelle de notre capitale est exposée frontalement dans un Black chroniquant les rapports explosifs entre bandes ethniques se disputant le pavé, le dédale des rues sombres et l’espace blafard des stations de métro. « Il fallait restituer cet aspect territorial essentiel de la vie des bandes, leur rapport identitaire avec leur quartier », commente Adil El Arbi, aussi francophone que son compère Bilall Fallah est néerlandophone. Un élément majeur, incontournable, comme l’ont prouvé des cinéastes admirés des réalisateurs de Black et dont les films ont modifié la perception de New York: le Martin Scorsese de Mean Streets et le Spike Lee de Do the Right Thing. Sans oublier La Haine de Mathieu Kassovitz, « où on pouvait tout à coup voir, dans un film sur la banlieue parisienne, des réalités que nous connaissions bien dans nos quartiers à Bruxelles, l’écho de frustrations qui pouvaient être les nôtres, des choses bien plus proches de nous que ce que nous pouvions voir dans les films made in Hollywood… »

A leur manière, Fallah et El Arbi veulent « montrer ce qui n’a pas encore été montré, sortir du moule, d’un cinéma fait avec les mêmes acteurs, le même genre d’histoires et bien sûr les mêmes lieux. Nous amenons notre caméra ailleurs, nous filmons un autre Bruxelles, celui que nous connaissons, nous qui sommes d’origine marocaine avec plein de potes africains. Si nous ne le faisons pas, qui d’autre va le faire? » Une interrogation légitime, culturellement parlant, mais aussi sur le plan purement cinématographique, car « ces lieux où personne ne tourne jamais ou presque ont beaucoup de caractère, d’atmosphère, visuellement parlant, ils appellent le cinéma comme le font d’ailleurs tous les lieux vibrant d’un feeling de ghetto, où qu’ils soient dans le monde! » De quoi rapprocher les réalisateurs de Black d’un certain Spike Lee? « Lui, c’est notre plus grand exemple! Aussi parce qu’il y va carrément, en ne ménageant rien ni personne, en n’étant pas politiquement correct. La vie et la réalité ne sont pas politiquement correctes! »

(1) ABDEL, JOUÉ PAR AMID CHAKIR.

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