Beyoncé/Jay Z: Merci pour ce moment…

Beyoncé, Jay-Z et Blue Ivy Carter, ici sur la scène des MTV Video Music Awards 2014. © REUTERS/Lucy Nicholson
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Samedi soir, au Stade de France, le « couple royal » mettait un terme à (leur thérapie de couple) la tournée On The Run. It’s only pop music, but we like it.

Sur l’écran en fond de scène, un message d’intérêt général: « This is not real life ». Comme avec tous les concerts de stade, il y a en effet toujours quelque chose d’irréel au barnum déployé. Samedi soir, 80.000 personnes remplissaient le Stade de France, pour la seconde date parisienne de la tournée On The Run, réunissant Beyoncé et Jay-Z. L’ultime show d’une virée-éclair qui s’est arrêtée dans une quinzaine de villes américaines seulement avant de s’achever sur deux concerts parisiens. En « cavale » (on the run), le couple Carter a enchaîné les braquages et pris l’oseille: Forbes a rapporté que la tournée devrait être la 2e plus rentable de l’histoire, derrière le 360° Tour de U2 (plus de 100 dates entre 2009 et 2011)… Cela ne rend que plus exceptionnel, voire historique, une série de concerts qui proposait sur scène deux des plus grosses stars du moment, couple royal qui a réussi à se placer au centre de la culture pop actuelle. Mieux: à son sommet, mettant à la fois d’accord le grand public et les branchés, rameutant au Stade de France aussi bien Cathy Guetta que les Anglais de The XX.

Samedi, sur le coup de 21h, Beyoncé et Jay-Z débarquent donc, chacun d’un côté de la scène. Ils prennent la pose et toisent le public. La moue défiante pour l’une, la dégaine de gangster pour l’autre: à la fois ridicules et sublimes, ils sont alors la définition même du « cool ». Ceci n’est pas la vraie vie, certes, mais le couple sait comment rendre leur scénario crédible. Ils lancent le show avec 03′ Bonnie & Clyde. Logique: le titre est le premier que les deux ont enregistré ensemble. Il colle aussi au film du jour: sur les écrans, des séquences noir et blanc hyper léchées montrent les deux entertainers en couple d’outlaws diaboliques, mélangeant scènes à la Tarantino, Natural Born Killers et Ocean’s Eleven.

À première vue, c’est Beyoncé qui prend le lead (jusque dans la typo de la tournée, identique à celle de son dernier album, sorti en 2013). La chanteuse est à nouveau étourdissante, incapable de la moindre fausse note, enchaînant les routines avec une facilité et une puissance impressionnantes. Ces derniers mois, Queen Bey a appuyé de plus en plus son image de féministe moderne. Elle persiste et signe avec le diptyque Run The World et Flawless, introduit par un extrait du discours de l’auteur nigérianne Chimamanda Ngozi Adichie , et enflammé par la présence sur scène de Nicki Minaj.

Généralement, Beyoncé est entourée de danseuses, quand son rappeur de mari occupe la scène seul. Jay-Z a souvent partagé les tournées ces derniers temps, que ce soit l’an dernier avec Justin Timberlake, ou encore avant pour Watch The Throne, autre campagne à superlatifs, menée avec Kanye West. Son flow décontracté n’en était alors que plus flamboyant face aux agitations énervées de son camarade. C’est un peu le même principe ici: face à une Beyoncé déchaînée, bête de scène inarrêtable, chacune des apparitions de Jay-Z fait mouche, contrepoint cool, au charisme toujours aussi faussement nonchalant.

Inutile de le préciser: le show « à l’américaine » est précis, millimétré, rythmé jusqu’au grotesque par les changements de tenue, quasi entre chaque morceau. Une vraie machine de guerre, qui enquille plus d’une quarantaine (!) de morceaux – pour quasi autant de tubes (Drunk In Love, 99 Problems, Crazy In Love, Big Pimpin…) parfois réduits à des extraits de quelques secondes à peine, entre deux citations pop (de Portishead au Clique de Kanye West). Une sorte de grand remix de 2h45 qui malaxe les hauts faits d’arme de l’une et de l’autre. Jusqu’à frôler l’indigestion? À vrai dire, il pourrait être vain s’il n’avait été parfaitement scénarisé. Expliquant sa fascination pour Beyoncé, la sensation électro-pop française Christine & The Queens racontait récemment: « même de ses problèmes de couple, elle réussit à en faire une tournée! » C’est en effet un des ressorts « dramatiques » de la soirée, dont le dernier tiers se transforme en thérapie de couple en direct. Quand par exemple, la chanteuse fait mine d’investir plus encore que d’habitude sa reprise de The Ex-Factor de Lauryn Hill ou que, assise seule au milieu du public, elle détache chaque mot de Resentment, histoire de trahison et de tromperie dont elle fait valser toute ambiguïté: « How could you lie », demande-t-elle face caméra, avant de se frotter l’épaule, « dirt off her shoulder« …

Il y a évidemment un happy end. « Forgiveness is the final act of love », proclame la chanteuse. La dernière ligne droite est irrésistible: Love on Top (mélangé au I Want You Back des Jackson 5), puis Jay-Z qui met le souk avec Izzo (« Not guilty », plaide-t-il, rigolard) et Niggas in Paris. Le concert se termine à deux, elle chantant Halo les yeux humides dans les bras de son mari (désormais vêtu de blanc). Le power couple est retourné sur la petite scène plantée au milieu du public, pour regarder avec le public les « home video » diffusées sur le grand écran, les montrant en famille avec Ivy Blue Carter, deux ans. En surimpression, le message a désormais changé: « This is the real life ». Et tout le reste une vaste comédie? Les Carter repartent en déclarant une dernière fois leur flamme l’un à l’autre. À la manière de… Stromae et du simulacre de Formidable, Beyoncé et Jay-Z ont livré « de la chair fraîche » à tous les appétits people. Que l’histoire soit finalement authentiques ou pas, importe peu. C’est ce que le couple a réussi à en faire qui est réellement fascinant. Dans un monde hyper connecté et « transparent », ils ont montré qu’il était encore envisageable de nourrir son art de choses personnelles, tout en gardant le contrôle et en ne révélant rien. Il est ainsi impossible de dire jusqu’à quel point les rumeurs de divorce tenaient ou non d’un grand plan marketing machiavélique et ultra élaboré. Que la tournée On The Run fut l’un des spectacles pop les plus bombastic de ces dernières années ne fait par contre aucun doute.

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