Benjamin Biolay, l’homme caméléon

Benjamin Biolay © Claude Gassian
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

200.000 exemplaires vendus, 3 victoires de la musique… Pour Benjamin Biolay, « La Superbe » était l’album de la consécration. Aujourd’hui, B.B. se fait « Vengeance » flanqué de Vanessa Paradis, Carl Barât et Orelsan. Conversation au long cours.

Il a les idées longues et claires mais aussi le débit lent et le regard un peu fatigué du fumeur de joint. Un bout de shit traîne sur la table. C’est au studio ICP, à Bruxelles, là où il a enregistré Vengeance, son nouvel album, et bossé sur le prochain Vanessa Paradis, que Benjamin Biolay s’épanche. Si la langue de bois est selon lui le seul mode de survie quand on est médiatisé, elle n’est définitivement pas dans les gènes de cet étonnant personnage. B.B., c’est un ancien gardien de but, aujourd’hui actionnaire du club de foot de Villefranche (CFA), sorti du conservatoire de Lyon. Un fan de rap et de NBA qui a travaillé avec Henri Salvador, Juliette Greco et Françoise Hardy. Un type sûr de lui sans être arrogant. Timide mais grande gueule.

Vous avez intitulé votre album Vengeance. C’est un sentiment qui vous habite souvent?

Non. Pas du tout. Je ne suis pas quelqu’un de rancunier. Se venger, ça ne t’amène que des emmerdes. La revanche, c’est l’amour et la seule vengeance, c’est l’oubli.

Dans quel état d’esprit avez-vous abordé ce disque?

Je voulais essayer tout ce qui me passait par la tête sans aucune censure possible. Après, ça dépend de l’humeur dans laquelle tu te trouves, la saison, ce que tu aimes écouter, ce que tu vas voir au cinéma, qui tu fréquentes, quel spectacle tu as vu… Il faut tenir compte de l’accident. Rien de grave hein. Il n’y a pas de mort. Ça peut même être merveilleux. Je ne sais pas ce qui est accidentel sur ce nouvel album. On oublie ce qui l’est. On l’intègre. On en fait une pièce même de son oeuvre. On mobilise ce qui vient de l’accident, du moment d’égarement. D’ailleurs, parfois, quand je ne sais plus quoi faire, je massacre les morceaux pour me marrer. Tous les titres qui sont sur ce disque ont un jour pris une branlée.

Vous viviez quoi, alors, pendant que vous bossiez sur cet album?

Je tournais encore un petit peu sur l’album La Superbe. J’ai joué dans 5 ou 6 films. J’ai produit pas mal de disques. J’ai voyagé beaucoup. Je bouffe toujours beaucoup de films aussi. Et de la musique évidemment. Mais je me fais maximum une nouveauté par mois. Et je peux avoir du retard. Là pour le moment, j’écoute un disque que j’ai acheté l’an dernier en faisant mes courses de Noël. El Camino des Black Keys. Je ne vais pas nécessairement me pencher sur un artiste parce que je sais qu’il est produit par tel mec ou qu’il sort sur tel ou tel label. Je ne suis plus à l’affût du nouveau son.

Une grande différence entre Vengeance et vos albums précédents, c’est la voix…

Je voulais chanter normalement. Comme sur scène. Je me suis moins censuré. Mes concerts sont plus rock. Souvent, sur mes disques, je passais par des phases comme celles-là mais ensuite j’épurais un peu. Cette fois, j’ai gardé la boule de son. Le côté lâchage. Ce qu’on entend sur ce disque, c’est ma façon spontanée de chanter. Quand il y a du bruit, quand il y a du son derrière et que j’ai un micro… Sur scène, lors de notre dernière tournée, je me suis dit je peux chanter. Je vais chanter. Plus que vous l’imaginez. Je l’ai démontré et j’ai eu envie de retrouver cette sensation. Ce plaisir, c’est une nouveauté dans ma vie. Je le ressentais en concert mais pas en studio. Enfin, il était moins intense que celui de jouer.

Dans certaines intonations, vous faites penser à un Miossec, à un…

Aucun Français n’a influencé ma manière de chanter sur ce disque. Mes références restent avant tout anglo-saxonnes. Sinon, on parle de quelques rares artistes et il s’agit avant tout de rappeurs. Pourquoi? C’est le format. Pour un rap, tu as 10 pages de texte. Pour une chanson, tu n’en as qu’une… Je ne sais pas quel âge vous avez mais moi j’ai grandi avec le hip hop. Je ne connais personne, même des mecs qui écoutent des trucs très blancs, sans un Dr. Dre, un Jay-Z ou un NTM dans son iPod. Le rap n’est pas un genre marginal. Et il y règne plus de liberté que dans la chanson. Comme tu n’es pas confronté au poids de la mélodie, tu peux utiliser des mots de 5 syllabes. Pour les chanter, il faudrait se lever tôt. Coller un adverbe dans une chanson par exemple, c’est compliqué. Tout le monde sait que plus les mots sont courts et plus ils sont chantables. C’est souvent pour cette raison que des jeunes chanteurs débutants se prennent les pieds dans le tapis. Ils écrivent de beaux textes mais des textes qui sont tout bonnement inchantables. Une poésie n’est pas une chanson. Mon métier, c’est parolier. Eux se situent entre le parolier et l’auteur. Le rap est plus structuré. La chanson plus abstraite. Tu peux faire toutes sortes de chansons. Entre Björk et Michel Sardou, il y a de la place. Le rap, il a des rimes internes. Des codes différents. Avec Orelsan et Oxmo Puccino qui ont participé à mon disque, on parle de voix, d’attitudes, de musicalité très particulières.

Comment Carl Barât, l’ex-Libertine, s’est-il retrouvé à chanter sur votre album?

La rencontre avec Carl, c’était à Bruxelles. Je travaillais ici, au studio ICP. Il avait envie de me rencontrer. Il aimait beaucoup La Superbe. Il est passé. On a décidé de bosser ensemble. On a fait cette chanson. Puis quelques trucs pour son album. Les Libertines sont l’un des derniers groupes anglais importants. Selon moi, ces 10 dernières années, l’Angleterre a pris 3 claques. Les Libertines, The Streets et Amy Winehouse… Les Arctic Monkeys? Bof. Pete et Carl partagent un amour des mots invraisemblables. Carl ne lâche jamais sa guitare. J’ai eu beaucoup de chance que le mec vienne vers moi. Après, le courant est passé. On a enregistré ce morceau à Paris. On a aussi bossé sur une adaptation contemporaine du Couronnement de Poppée de Monteverdi. Frederika Stahl et Marc Almond figuraient dans la distribution. On a le même genre de références, Carl et moi. Il est très anglais dans ses goûts. Et en même temps, il aime la France. Moi, je cherche des voix singulières. Dans le temps, les vieux nous saoulaient avec leur empreinte vocale. Ils avaient raison. Aujourd’hui, dans le business, les mecs veulent des clones. Ils cherchent les trucs qui marchent, à la manière de. Il y en a même qui ont essayé de faire du Biolay. C’est pas dur en même temps. J’ai toujours aimé jouer le crooner pour me marrer. Mais un Julien Clerc, il ne se force pas. Il chante vraiment comment ça… Faut pas aller à l’encontre de sa nature.

Ça change quoi, un disque qui cartonne dans une carrière?

Tous mes albums sauf un sont disques d’or. Ils ont tous pu exister. Mais La Superbe a rencontré un succès inespéré. C’est le moment ou jamais de prendre des risques. Je pars bien loin mais qui m’aime me suive et si jamais ça ne se passe pas bien, je ne blâmerai personne. Je me remettrai en question. Ça fait partie aussi de ce dogme-là. Si on prend le risque de casser le jouet, de le faire évoluer vers un autre truc qui n’est pas exactement dans la continuité de son travail… Les artistes que j’aime sont dans ce genre de démarches. Ils font rarement 2 fois le même album. Je trouve ça plus intéressant. Mais si le public est moins touché, il faut s’interroger. Je pense que si le disque ne marche pas, c’est qu’il ne sera pas bien et qu’il ne me plaira plus. Je resterai naïf quand même et assez sûr de moi. C’est difficile de quantifier ce qu’on appelle l’échec. Parfois, le banquier considérera ton album comme un flop, mais pour toi l’artiste, il aura ouvert des portes, permis d’accéder à tel ou tel milieu, de dépasser certains clivages. C’est difficile à estimer. Je ne parle pas des ventes. Je parle des discussions dans la rue, dans les bars avec des gens qui ont acheté mes disques. Qui sont attachés à des chansons. Si on ne parlait jamais des morceaux de cet album, je me poserais des questions. C’est normal et sain je pense. Tu peux faire un échec commercial incroyable et puis 2 ans après être synchronisé dans un film américain qui cartonne dans le monde entier. On ne peut pas savoir. Contrairement au cinéma, le destin d’un disque n’est pas scellé la semaine de sa sortie. C’est un peu comme une bouteille à la mer. On ne sait pas où elle finira par échouer.

Le cinéma, la musique, des plaisirs différents?

Je ne sais pas. Je me dis qu’il y a forcément un truc qui se rejoint et qui fait que ça me plaît tant. Parce que les deux me coûtent pas mal par rapport à ma timidité. J’y vais quoi. C’est pas quelque chose que je peux faire à l’arrache.

Il y a des réalisateurs qui vous effraient? Un von Trier par exemple?

Je n’ai pas peur de grand monde. J’ai un côté un peu punk… A un moment si Lars von Trier me casse les burnes, je me tire de son film. Je peux me le permettre. Un acteur ferait ça, il serait brûlé à vie. Mais moi, je ne suis pas qu’acteur. Je suis chanteur. Ça s’est mal passé avec Björk. Et alors? Il ne faut pas avoir peur des gens. Parce que souvent, ce sont des légendes. Tout est grandi par la rumeur, la vox populi. Souvent, les gens qui rament avec un réalisateur, c’est parce qu’ils sont à chier. Et plutôt que se dire qu’ils ont été mauvais, ils mettent ça sur le dos du réal. On entend quand même souvent ce discours. J’ai déjà tourné avec des gens qu’on me disait horribles et je ne les ai pas reconnus. Déjà, je connaissais mon texte par coeur. Les mecs se disent que je suis sérieux. J’ai entendu des grands acteurs se plaindre de réalisateurs mais ils arrivent le matin et ils ne connaissent pas les dialogues. Il y a des metteurs en scène et des partenaires que ça rend fou. Moi, ça me fait plutôt marrer de ne pas être le branleur de service.

LE 24/04 À LA MAISON DE LA CULTURE DE TOURNAI, LE 26/04 À L’ANCIENNE BELGIQUE ET LE 10/05 AU MANÈGE (MONS).

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