Laurent Raphaël

Belgian pride

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

On a beau se demander à quelle sauce institutionnelle à base d’arsenic le plat pays va être mangé, le drapeau belge flotte toujours sur le royaume. On peut même parler de regain d’intérêt, sinon de fierté, pour ces couleurs délavées par des années d’essorage communautaire intensif.

L’édito de Laurent Raphaël

Paradoxalement, à l’heure où les forces centrifuges flamandes sortent renforcées des urnes, un fluide vital ranime cette bizarrerie identitaire qu’est la Belgique, et par ricochet son double spirituel, la belgitude.

On aurait vite fait de porter au seul crédit des Diables Rouges ce regonflage à bloc du sentiment national. De fait, cette équipe jeune, multiculturelle et bankable est sans doute le meilleur antidote au virus séparatiste. Et le meilleur produit d’appel aussi pour une Belgique unie et conquérante. Du moins tant qu’elle gagne… On se souvient que le rêve Bisounours d’intégration harmonieuse porté par la victoire Black-Blanc-Beur de l’équipe de France à la Coupe du monde 98 s’était rapidement pris les pieds dans le tapis du marasme économique, du sport business et du racisme ordinaire. Reste que la coolitude décontractée affichée par Kompany and co participe du renouveau actuel, l’idée d’une Belgique glam et sexy -mâtinée de beaufitude, le foot reste le foot- prenant corps avec ces athlètes des temps modernes qui ont fait leur trou à l’étranger. Ce n’est d’ailleurs pas un Hazard (wouaf wouaf) si le photographe Stephan Vanfleteren, à qui l’on doit déjà l’expo Belgicum où il livrait une vision subjective à la poésie rugueuse du pays, a pris pour cible ces nouveaux dieux du stade dans une série métrosexuelle (à voir au Bota jusqu’au 17 août) qui donnera des palpitations à tous les lecteurs de Têtu.

On a beau se demander u0026#xE0; quelle sauce institutionnelle le plat pays va u0026#xEA;tre mangu0026#xE9;, le drapeau belge flotte toujours sur le royaume.

Les marchands du temple, ou plutôt du stade, l’ont bien compris, qui nous inondent de gadgets tricolores made in China. De mémoire de supporter pourtant passé par la case Mexico 86, on n’avait jamais vu ça. On pourrait n’y voir qu’un gros coup marketing si derrière l’effet stroboscopique de cette déferlante noir-jaune-rouge ne poignaient les indices d’une réelle réappropriation de cet esprit zinneke, et des armoiries qui vont avec. Une communion qui doit autant au sport (on pourrait épingler les succès en hockey) qu’à la culture qui valse depuis toujours avec ce concept d’identité bâtarde, définie en creux -en gros, tout ce qui n’est pas français, anglais, allemand, hollandais, est belge-, faute de mieux.

Sauf qu’à une forme de ringardise et d’anachronisme dont les artistes faisaient sauter les coutures avec tendresse et nostalgie, de Jan Bucquoy à Arno en passant par Hugo Claus, se superpose désormais une couche artistique transformant l’absurde et la fantaisie de contrebande qui coule dans nos veines en ciment patrimonial. Avec C’est arrivé près de chez vous, le cinéma a quelque part ouvert la voie, forcément royale, vers la hype. Les Poelvoorde, Damiens et Dardenne se sont engouffrés dans la brèche. Un savant cocktail de fausse désinvolture et de vraie gravité que l’on retrouve chez Stromae.

La Belgian Touch est sur les rails, les références aux emblèmes ne se cachant même plus derrière le masque du second degré. On pense au Nouvel An Belge qui se déroule à Paris et convoque le meilleur de la scène musicale d’ici sur les hauteurs de Montmartre. Ou dans un registre plus politique et plus garage, à The Belgians, projet du combo liégeois The Experimental Tropic Blues Band. Il faut voir la vidéo du premier single Disobey, medley nerveux d’images d’archives, des Fourons aux entartages, rappelant que la contestation façonne autant que les « exploits » les contours d’une grande nation. Même la bande dessinée, non sans dérision -on n’est pas au pays du surréalisme pour rien-, y va de son couplet belgicain, avec cette Histoire de la Belgique (pour tous) du duo infernal Herr Seele-Kamagurka (oui, celui qui nous honore chaque semaine d’un gag dans cette page), où Cowboy Henk revisite pipe à la main notre glorieux passé.

Taclée sur son aile droite par un back particulièrement agressif, la défense belge plie mais ne cède pas. On a vu des équipes remporter le match dans les arrêts de jeu… Sur ce, bonne Coupe du monde à tous les footeux. Courage aux autres!

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