BD: le neuvième art aussi se déguste en poche, nouveau filon commercial des éditeurs

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Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Poussés dans le dos à la fois par le succès du manga et la gentrification de la BD franco-belge, les éditeurs se relancent en masse dans le format poche. Une bonne affaire pour eux et pour les lecteurs, un peu moins pour les auteurs.

Sans vouloir faire les malins, les rayonnages des Fnac, Mediamarkt et autres librairies Relay des gares françaises viennent de donner raison à ce que l’on écrivait ici même il y a exactement un an: «On met une pièce sur le fait que ce début de tendance – des rééditions de classiques souvent plus disponibles, moins chers et dans un format poche un peu plus cheap – deviendra un secteur très important du marché BD d’ici quelques années.» Dont acte: après des galops d’essai lancés par Casterman et Futuropolis, la plupart des grands éditeurs francophones de bande dessinée se réessaient au format poche, et donc aussi au petit prix. Des dizaines de titres issus des catalogues Dargaud, Casterman, Futuropolis, Gallimard ou même Urban Comics sont réédités cet été dans un format plus petit et sous couverture souple, à l’image de ce qui se fait depuis des lustres en littérature. Si l’on est encore très loin des chiffres que le poche représente dans le roman (20% des sorties, 15% du chiffre d’affaires du secteur), le poche BD semble bien parti pour décoller – y compris, parfois, certaines rétines fragiles…

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Tout bénef’

Si le format poche n’est en soi pas une nouveauté – les plus anciens se souviennent de la collection «Gag de Poche» de Dupuis et de tous les petits formats adulte et bas de gamme qui pullulaient dans les années 1970 – , il n’était plus d’actualité dans la BD depuis que celle-ci s’est trouvé une nouvelle légitimité, une vraie reconnaissance et un goût prononcé pour les romans graphiques à forte pagination, provoquant une importante hausse des prix et, par ricochet, une «gentrification» évidente de son lectorat.

Des choix éditoriaux qui ont porté le secteur du livre, désormais rattrapé à la fois par l’après-crise du Covid (les chiffres de vente sont en baisse de 10% à 15% par rapport à l’année dernière, quand le livre était alors un des rares biens de consommation culturelle disponibles), l’explosion hallucinante des ventes de mangas (que favorisent leur petit prix et le chèque culture accordé en France aux moins de 18 ans) et la contraction du pouvoir d’achat de ses lecteurs potentiels. Résultat: retour au poche et à l’argument bon marché, dans l’espoir évident, à voir les titres sélectionnés, de raccrocher un public de jeunes adultes partis vers d’autres horizons.

C’est tout bénéfice pour les éditeurs qui réexploitent à moindre coût du matériel déjà en partie amorti par une première édition, et pour les lecteurs avides mais obligés de compter leurs sous. Les auteurs, eux, sont surtout contents pour leur livre. «On est même enthousiastes car le prix de vente de dix euros permettra sans doute à plus de lecteurs de le lire, avance ainsi Pierre Bailly qui voit son Muret, écrit avec Céline Fraipont, ressortir chez Casterman. Nous ne pensions plus à ce livre qui a presque dix ans, et nous sommes contents qu’il refasse surface de cette façon. Les one shots ont une vie tellement courte!» Même son de cloche chez Florence Dupré la Tour, dont Pucelle ressort chez Dargaud: «Si ça peut toucher des publics moins argentés que ceux qui peuvent s’offrir l’album, je suis bien sûr pour. La bande dessinée contemporaine est trop chère de manière générale (sauf les mangas), elle se coupe d’une partie du lectorat. Pour moi, c’est une manière d’être lue par d’autres publics et je trouve ça cool.»

Cool mais peu rémunérateur, là aussi nos deux auteurs sont d’accord: «Ce n’est pas avec ce genre de bouquin qu’on bouffe, c’est une sorte de don», lance l’un. «Ce ne sont pas des opérations très intéressantes financièrement: petits prix, droits d’auteur moindres», ajoute l’autre. Reste la question, essentielle, du confort de lecture. Si les techniques d’impression, parfois en quadrichromie, permettent aisément de «lire plus petit», les choix éditoriaux restent essentiels et parfois risqués: autant il est aisé de lire Pucelle dans un format A5 proche de sa conception, autant il est cruel de regarder le sublime et très pictural Ailefroide de Rochette dans un format réduit! Le poche BD s’affirme donc comme une solution parmi d’autres pour relancer un marché, pas comme une panacée.

TROIS BD EN POCHE POUR L’ÉTÉ

Pucelle de Florence Dupré la Tour, éditions Dargaud, 9,50 euros

Paru il y a deux ans, le récit autobiographique de la non-éducation sexuelle de Florence Dupré la Tour était un tour de force graphique et narratif, parfaitement en phase avec une nouvelle génération d’autrices aussi douées qu’engagées. Il le reste dans un format poche, proche du format A5 dans lequel il avait été conçu.

Le Muret de Pierre Bailly et Céline Fraipont, éditions Casterman, 10 euros

La collection «Ecritures» de Casterman, en réalité déjà très proche d’un format réduit, a longtemps été l’écrin de ses meilleurs romans graphiques. Après Blankets, de Craig Thompson, l’éditeur ressort Le Muret, hautement recommandable, récit initiatique et punk d’une ado de 1988, à la noirceur très éloignée de leur série à succès Petit Poilu.

Vive la marée ! de Pascal Rabaté et David Prudhomme, éditions Futuropolis, 10 euros

Que du bonheur dessiné et écrit à quatre mains, parmi les plus humanistes et douées de la BD contemporaine! Rabaté et Prudhomme nous font passer une journée à la plage, parfaite pour croquer leurs contemporains sur un ton plus doux qu’aigre. Avec une légèreté, y compris dans le trait, qui se prête mieux que d’autres à la réduction.

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