Asia Argento, l’astre de Sans soleil: « Je n’aime pas beaucoup la science-fiction, mais ce film-là, c’est du vrai cinéma »

Asia Argento, une madonne défoncée par qui le trouble surgit.

Elle illumine Sans soleil, tel un astre voilé, aussi lumineux qu’insondable. Asia Argento ouvre et clôt le premier long métrage de Banu Akseki. Sa présence magnétique imprime une couleur, une texture presque au film de la cinéaste belge. Rencontre et critique.

L’actrice italienne Asia Argento joue les madones défoncées, les pietà inversées. Elle incarne dans Sans soleil celle par qui le trouble arrive, révélatrice des maux d’une société qui s’enfonce dans le déni, aveugle à l’extinction qui la menace. Depuis son dernier film comme réalisatrice, L’Incomprise, présenté à Cannes en 2014, on l’avait vaguement aperçue dans l’inclassable Alien Crystal Palace d’Arielle Dombasle, traversant ensuite avec force et tumulte la déflagration #MeToo, sa vie personnelle soudain exposée aux yeux de tous.

© National

C’est un peu une surprise, forcément, de la redécouvrir dans ce film belge, singulier mais confidentiel, le premier de Banu Akseki. “Déjà à la lecture du scénario, tout était là, explique l’actrice. Quand Banu m’a raconté ce qu’elle voulait faire, j’ai compris sa vision, je l’ai même vue. Mon père a toujours dit: “Quand on a un bon scénario, on a déjà fait 80% du film. ”Un film réussi, cest souvent ça, un film fidèle à sa vision initiale. Je n’aime pas beaucoup la science-fiction, mais ce film-là, c’est du vrai cinéma. Moi, je n’ai jamais fait la différence entre un premier, un deuxième ou un dixième film. Il n’y a que des bons et des mauvais films. Quand j’ai découvert le scénario de Sans soleil, ça aurait pu être un quinzième film. Les autres grands maîtres avec lesquels j’ai travaillé, il leur est arrivé de rater des films alors que ce n’était pas leur premier! Ça faisait longtemps que je navais pas été emportée aussi loin par un film, dautant quil est inclassable, on ne peut le comparer à rien dautre.

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Il faut dire que le film surprend par sa clairvoyance. Sis dans un futur tellement proche qu’il multiplie les sensations de déjà-vu, Sans soleil raconte une société dystopique où le soleil est devenu une menace diffuse, où ses éruptions rendent folle une partie de la population, qui choisit alors de vivre sous terre et doit affronter l’incrédulité, voire l’animosité du reste de la population. Alors qu’il a été tourné avant la crise du Covid, on y voit surgir des gens masqués, se répandre les fake news, se cristalliser les conflits et s’échanger sous le manteau les remèdes miracles. “J’ai été très émue en découvrant le film il y a quelques jours. On l’a tourné il y a trois ans. Il m’a laissée bouche bée, c’est très puissant. Avec très peu de détails, Banu raconte une histoire incroyable. Et puis, son travail s’avère complètement visionnaire. C’était déjà une dystopie sur le papier, mais le Covid a amené encore plus de dystopie qu’elle ne l’avait imaginé.”

Se souvenir de l’adolescence

Mais ce qui touche peut-être le plus la comédienne dans ce film, c’est le portrait qu’il dresse de l’adolescence. “Ce qui m’a marquée – j’en ai même pleuré-, c’est le personnage de Joey, cet adolescent qui se cherche tout en cherchant sa mère. Sa difficulté à mettre des mots sur ses émotions, à communiquer avec les autres. Pourtant, on expérimente tout ce qu’il ressent. J’aimerais montrer ce film à mes enfants, car j’ai l’impression que Banu na pas oublié comment elle se sentait quand elle était adolescente, alors que trop souvent, je crois, on ne se souvient pas à quel point ça peut être compliqué de communiquer avec les autres, ceux quon aime. De lespoir et du désespoir qui nous animaient alors.

© National

On la sent exaltée, émue par le souvenir. On lui demande alors quel type de spectatrice de cinéma elle est, en général. “J’ai deux enfants, qui ont aujourd’hui 13 et 20 ans, donc ces dernières années, j’ai dû voir beaucoup, beaucoup de films pour enfants. Les Disney, les films genre Star Wars, pour moi c’était l’enfer! Tous les dimanches, on allait au cinéma, mais voir autant de films terribles, ça m’a presque ôté l’envie d’en voir de bons! Heureusement, mon fils est vite devenu très cinéphile, on peut partager d’autres choses, et j’ai l’impression de reprendre goût au cinéma. J’ai toujours été cinéphile. Plus jeune, j’écumais les cinémas d’art et essai à Rome, où je suis née. J’allais voir les classiques, mais ça ne se fait plus aujourd’hui. J’adore aller au cinéma. Un film comme Sans soleil, c’est un film minimaliste, mais avec de grandes émotions, de vastes paysages, où la nature parle. Elle nous domine. L’expérience de voir un film tous ensemble, d’avoir ces sentiments au même moment, d’être surplombés, ensemble, par ces visages, ces paysages, c’est irremplaçable. Et celui-ci qui demande d’être regardé sur un grand écran.” Dont acte!



Sans soleil


Avec Sans soleil, Banu Akseki dresse le portrait d’un adolescent en quête de repères dans un monde préapocalyptique où le soleil est devenu l’ennemi. Joey se cherche et croit pouvoir se trouver quand il aperçoit une revenante, le fantôme de sa mère disparue: une mère mystérieuse, atteinte d’une souffrance diffuse qui la submerge et la rend absente, jusqu’à la disparition. Ce mal, Joey le retrouve quelques années plus tard au sein d’une communauté réfugiée sous terre, où certains tentent de combler un vide existentiel et spirituel en s’alliant dans l’addiction, et une certaine sorte de résistance au monde. Tournée avant le Covid, cette dystopie revêt des allures prophétiques, aussi bien sur les symptômes que les effets, révélatrice de fractures sociétales qui font écho avec notre quotidien.

Drame. De Banu Akseki. Avec Louka Minnella, Asia Argento, Sandrine Blancke. 1h40. Sortie: 03/05. ***

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