Applause, c’est fini

Nicolas Ly d'Applause © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Dans un bref communiqué publié sur Facebook, le groupe franco-belge annonce sa dissolution après « huit années très intenses ». On les rencontrait pourtant récemment à l’occasion de la sortie de leur deuxième album, Acids.

Le communiqué d’Applause:

Bonjour à tous,Après huit années très intenses, un ep, deux albums et pleins de concerts fabuleux, nous avons décidé de…

Posted by APPLAUSE on mardi 28 avril 2015

Ci-dessous, notre double rencontre avec le groupe, initialement publiée dans le Focus du 6 mars 2015.

APPLAUSE, SVP

Ce 6 mars à l’AB/Bota, Applause présente son deuxième album Acids, précédemment saucissonné en trois EP’s de pop catchy viscérale. Rencontres à Paris-Bruxelles du puzzle franco-belge avec un doigt de Vietnam dedans.

Applause: de gauche à droite, David Picard, Manu Loriaux, Jérémie Mosseray, Nicolas Ly et Manuel Roland
Applause: de gauche à droite, David Picard, Manu Loriaux, Jérémie Mosseray, Nicolas Ly et Manuel Roland© Philippe Cornet

Paris XXe, jeudi 11 décembre 2014. Vingt-cinq bouteilles de Heineken, la plupart mortes de soif, garnissent la table basse. Et le frigo a encore de la ressource. Si un film saisissait l’ambiance supposée rock d’un groupe en tournée, cette loge aurait ses chances. Divans ayant déjà regardé plusieurs générations de culs, murs graffités, toilettes peu intimes, et ce bruit musical qui s’immisce dans les conversations enfumées. Normal, on est à moins de dix mètres de la scène de La Maroquinerie -où une première partie s’excite-, club du vieux Belleville-Ménilmontant désormais habité par les peuplades hipsteuses. Mais ce n’est pas uniquement ce profil-là qui caractérise les 500 personnes au concert complet d’Applause.

La bande déboule en 2011 via Where It All Began, premier album sang-mêlé étonnamment plaisant: la tonalité fluide y creuse divers affluents d’une même pop salvatrice. Soul blanche aux vertus lyophilisées à la Hall & Oates (All About You), ballade façon La Boum mais version Eno sensoriel (Hope You Better) et nombreuses fréquences cardios rappelant le dandysme des Associates et du bon côté des années 80 frémissantes (Witches). Tout cela nourri d’un vrai venin radiophonique, assez rare pour ne pas dire inexistant chez les Belges: essayez donc de siffloter une mélodie de Girls In Hawaii. Si une touche de logique présidait au succès, une somptuosité orchestrée comme The Woods -violons traqueurs et choeurs béchamel- aurait déjà dû tout parfumer sur son passage. Etre reprise à The Voice, jouée aux navetteurs hébétés du matin, hurlée par les ultras de Liverpool en lieu et place de You Never Walk Alone. Oui, on exagère et alors?

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Ceci dit, les qualités collectives de Jérémie Mosseray (percus), Manuel Roland (guitares, sax), Manu Loriaux (basse) et David Picard (claviers) n’auraient pas construit Applause sans le chanteur-narrateur Nico(las) Ly. Sur scène, froc de cuir, T-shirt baillant, il trimballe sa nonchalance étudiée dans un mélange placide de Bruce Lee et d’Iggy Pop en sucre lent. Ce soir-là, il s’est enduit le regard d’une crème charbonneuse, raccord avec le jais des cheveux, et cela rappelle évidemment la gueule de Martin Sheen, sortant kaki du Mékong, en route pour tuer le dissident Colonel Kurtz. Vietnam déjà… Moins d’intentions mortifères néanmoins chez Applause et davantage de filles dans les parages. Au-delà du cool déhanchement qui plaît aux dames -le premier rang de La Maroquinerie a son quota d’aisselles trempées-, Nico possède la voix de son physique noueux: membrane charnelle, capable de faire durcir le vibrato. Gorge humide, comme dirait l’autre, avec quelques morceaux de Bowie dedans.

Clic-Clac

« C’est ici que tout a commencé, à La Maroquinerie, par conjonction astrale. » David Picard sourit à la pensée du soir de fin 2006 où les futurs Applause accompagnent dans cette même salle le chanteur Néry Catineau (ex-VRP et Les Nonnes Troppo). « Nico, présenté par amis interposés, nous a donné un disque avec quelques maquettes et lorsqu’on l’a écouté le lendemain dans le camion de tournée, on est tombés raides de sa voix, de son style pré-James Blake. On a senti une singularité. » Attirance des contraires? David Picard, 39 ans, fils d’océanographe, a grandi à la côte belge en quasi-bilingue. Nico, 35 ans, vivait dans le Sud-Ouest de la France avant de « monter » à Paris faire des études de lettre, rayon anglais. Nicolas s’avoue composite: « Mes parents sont prof et médecin, j’ai très vite senti des affinités avec l’art. Pendant mes études, j’ai développé une obsession pour Portishead, je n’ai jamais trouvé mieux, je dois être un peu rigide (sourire). Je suis aussi fan de ciné d’épouvante, j’aime Bartok, Jeff Buckley, les musiques de malades qui vont au noir ou qui en reviennent. David et les autres semblent être ma complémentarité: ils font des arrangements cinématographiques qui dépassent le simple groupe de rock. » David & Co ont un passé musical, lui aussi composite, traversant le jazz-rock d’Orange Kazoo puis La Fanfare du Belgistan, faux pachtounes de Bruxelles.

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C’est dans cette ville que la colle prend: le Parisien Nico passe d’innombrables nuits sur le clic-clac du guitariste, et bosse en groupe jusqu’au sentiment d’arrimer les chansons, de leur donner un lieu de vie pas seulement géographique. Nico: « Mon père est vietnamien, de Hô-Chi-Minh-Ville. Quand il a fui le pays à la fin de la guerre, il s’est arrêté à Bruxelles, déraciné, avant de partir vivre en France. J’ai créé mon arche à Bruxelles (sourire), je me suis fait une famille ici, et puis ces types qui étaient dans le Belgistan avaient forcément quelque chose à voir avec l’Asie. » Les relations belgo-françaises passant par l’ancienne Indochine: début de thérapie? « Le Vietnam est dans mon ADN, précise Nico, c’est comme chez les loups, quelque chose d’indomptable, des vides que j’essaie de combler à ma manière, poétique j’espère. » Récipient ou méthode Coué, Nico utilise souvent « l’écriture automatique » pour ses textes à tête chercheuse, nettement moins scolaires que la moyenne anglophone des musiciens belgo-français.

Cave

Saint-Gilles, mercredi 14 janvier 2015. Un sous-sol à la Terry Gilliam -période Brazil– mais en VO belge rock, c’est-à-dire une compression de cinq musiciens et de davantage d’instruments, dans 25 mètres carrés. C’est dans la cave de la maison de Manuel-le-guitariste qu’Applause concocte une chanson-bonus à ses trois EP’s. Rappel des faits: après Where It All Began, paru en 2011 et vendu au joli score de 10 000 exemplaires, le groupe se sépare de son label français Wagram et monte un deuxième album en crowfunding via KissKissBankBank. Soit 11 000 euros récoltés. Plutôt que de proposer le lot de douze titres en une fois, Applause choisit de les partager en trois EP’s, sortis en mars, septembre et décembre 2014. Regroupés dans l’album du même titre générique –Acids– à paraître incessamment (1), avec, en sus, la chanson qui remplit maintenant le sous-sol laborieux de notes frivoles. Une reprise de Bowie 1973, Lady Grinning Soul, rare chanson sentimentale de l’Anglais et l’une de ses interprétations majeures. Nico pose une voix moins dramatique que l’originale mais avec ce grain, cette dilution et d’assez jolis aigus personnels, tous identifiables.

La musique, aérienne, rajoute une dose volatile à la sensation de planerie douce. David: « Nico est aussi musicien que les autres, il joue assez bien de la basse et du piano. Il prend le rôle de la diva qu’il n’est pas au quotidien dans le travail. C’est un accord tacite entre nous, établi sans que l’on en ait réellement parlé. Un peu comme Freddie Mercury avec Queen (sourire). » Pour l’instant, on mesure une nouvelle fois l’anti-glamour global du processus d’enregistrement: écouter, discuter, calibrer, caler, soupeser, chanter et tout réitérer en boucle. L’identité, c’est aussi du travail. « Applause est une vraie démocratie où la communication est facile: cela fait 20 ans que l’on est ensemble (Nico prend le train plus tard, ndlr) et on sait donc que l’on peut se parler, se rentrer dedans, s’engueuler. Et comme dans toutes les démocraties, les réformes prennent du temps. »

Précieux

Saint-Gilles bis, vendredi 30 janvier. Nico est à Paris dans son autre vie. Mannequin et acteur. Pour l’instant, c’est plutôt la course aux courts et moyens métrages qu’aux Oscars mais nul ne peut prédire le futur cinématographique. Pas plus que musical. Qui imaginait que les deux Applause de cette troisième rencontre -David et Manu-le-guitariste- étaient encore, il y a quelques années, cuivreux mondialistes dans la bien-nommée Fanfare du Belgistan? Aujourd’hui, ces trentenaires sont un cran bobo au-dessus (« trois des cinq sont propriétaires ») et rigolent presque d’habiter en pleine zone Ixelles-Saint Gilles, celle des barbus à layette Marcel et des filles en faux lièvre végétal. Manu, carolo d’origine, 35 ans, études de philo à la clé –« sans mémoire »-, représente bien le côté terrien-no pose du groupe. Evitant le laborieux plan wock’n’woll, même si David a longtemps bossé avec les Vismets (« ils ont du talent »). Manu donc, comme les autres, a le statut d’artiste et le goût du chineur qui débusque des instruments et les retape. Moyen d’élargir un peu le budget et d’inciter à l’autodidactisme: Manu pratique guitare et sax, mais aussi mandoline et banjo.

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Cet éclectisme musical enrichit les chansons, notamment via ces claviers qui ne s’agenouillent pas devant le tout-digital. David: « J’utilise pas mal mon Juno 60, tout droit sorti des années 80, un très bon synthé pas très cher à l’origine, hit de la marque Roland. Depuis longtemps hors fabrication alors que les gens ont eu tendance à liquider ce genre d’appareils analogiques quand les digitaux sont sortis. Mais le son ne se travaille pas de la même façon: aujourd’hui, un filtre sur un synthé numérique va timbrer le son à la manière d’une imitation analogique, formatant le résultat et atteignant donc assez vite ses limites. Applause est méticuleux, pour ne pas dire précieux, dans ses arrangements. Notre éventuelle brutalité ne quitte jamais une forme de sophistication. »

Le lustre se lit dans les nouveaux titres tels que Untold et ses claviers en vagues inversées, l’impeccable cruising pop de City Lights (que fait la radio?) ou la mélancolie poreuse de Basement. Vulnérabilité, celle aussi d’une fin de civilisation: David & Co appartiennent aux années 2010, ayant intégré les limites de l’industrie discographique traditionnelle, loin de l’époque ultra-monétariste qui permettait par exemple à cette star américaine d’obtenir un contrat pour son dealer régulier. Juste pour garder la fourniture à portée de nez, ceci dit. « La musique n’a plus vraiment de valeur marchande en soi mais elle n’a jamais eu autant cette caractéristique que comme produit d’appel, sur Internet, dans la pub, au cinéma. La musique est LE truc pour faire vendre autre chose. Même avec un ordi pourri de 2007 et quelques micros, on peut faire un disque, certes pas n’importe lequel: cela veut dire qu’en gros, les musiciens sont paumés. Donc, si on est juste là pour faire du fric et être star, on va être déçus (sourire), mais pas si les ambitions sont plus profondes. Ceux qui restent sont les bons, obligés d’être créatifs, de secouer la fourmillère. » Disons que ces secoueurs-là ont aussi l’élégance, la lucidité et le talent pour eux.

(1) COURANT MARS, CHEZ UN LABEL ENCORE À PRÉCISER, LE PRESSENTI AYANT DÉCLINÉ EN DERNIÈRE MINUTE.

French kiss?

« Lorsque nous étions chez Wagram, le label (parisien, ndlr) nous disait: Applause est un groupe belge et sera vendu comme tel en France », oubliant donc l’identité française de Nico, chanteur du groupe. La mode belge en France débute à Bruxelles dans les années 80/90 aux Studios ICP où défile tout le catalogue frenchie de l’époque, de Niagara à Charlélie Couture. Bashung ira jusqu’à embaucher quatre musiciens belges -sur sept…- dans sa Tournée des Grands Espaces. Entretemps a eu lieu une mini-invasion dans l’Hexagone avec dEUS, Venus puis Girls In Hawaii et Ghinzu, et dans une moindre mesure Sharko et Zita Swoon. Pierre Van Braekel, manager des Girls -qui ont vendu le même nombre d’Everest sur les deux territoires, soit environ 14.000-, donne son avis: « Je crois davantage à des sorties de qualité qu’à une conjonction rock belge en France. Là, on est passés de la pop-rock indé à Stromae et Selah Sue, avec toujours papa Arno, et maintenant, Balthazar. Pour vendre beaucoup en France, il faut un hit en radio. »

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