Antonin Varenne, un roman qui se dévore à tombeau ouvert

Antonin Varenne: "Il me fallait un sportif comme véhicule pour aborder l'obsession créatrice, la solitude, le fonctionnement d'un individu dans une logique commerciale..." © PATRICE NORMAND / OPALE / BELGA IMAGES
Philippe Manche Journaliste

Avec son nouveau roman, le noir, intime et frénétique Dernier tour lancé, Antonin Varenne se cache derrière plusieurs personnages dont un pilote de moto devenu pestiféré et en quête de rédemption. Une manière d’évoquer son obsession créatrice.

Pas de panique! Si vous n’avez jamais sillonné la Wallonie picarde, la route des Grandes Alpes ou la célèbre Road 66 sur une bécane, votre plaisir à la lecture de l’enragé Dernier tour lancé, onzième roman d’Antonin Varenne, sera intact. Idem si vous n’êtes pas abonné à Moto Mag, à Moto Revue ou Moto Heroes, ou même si vous ignorez que le Grand Prix d’Espagne se déroule à Aragon sur le circuit de Motorland. Ce roman de 400 pages, qui se dévore à tombeau ouvert, se déroule effectivement dans l’univers de la moto mais -parce qu’il y a toujours et heureusement un mais dans chaque bonne histoire- ce n’est pas un livre sur la moto.

Bon équilibre

L’auteur de Trois mille chevaux vapeur et d’Équateur imagine dans ce nouveau récit juste et foncièrement humain le personnage de Julien Perrault, 25 piges. C’est LE caïd de ce qu’Antonin Varenne appelle le « Circus »; le milieu des grands prix moto que Dernier tour lancé dézingue joyeusement, sport moteur où l’argent roi dégueule de partout. Julien Perrault, on le découvre dès les premières pages dans un lit d’un hôpital psychiatrique où l’on apprend, sans « spoiler » l’affaire, qu’il a causé accidentellement la mort d’un de ses concurrents sur le circuit du Mans et en a envoyé un autre vissé à vie à son fauteuil roulant.

« Je ne voulais pas écrire un roman sur la moto, confirme Antonin Varenne. Il me fallait trouver la bonne place, le bon équilibre parce que plus que le monde de la moto, c’est le pilote, le sportif qui m’intéressait. Mon objectif, dès le départ, c’était de parler de ce que c’est qu’être écrivain et de sa contradiction entre le fait qu’écrire est une passion, quelque chose d’intérieur tout en étant un métier. Il me fallait un sportif comme véhicule pour aborder l’obsession créatrice, la solitude, le fonctionnement d’un individu dans une logique commerciale… » Verbalisé de la sorte, on pourrait penser que Julien est l’avatar d’Antonin. Un Julien qui, une fois sorti d’HP, va évidemment tout faire pour remonter sur sa machine et essayer de revenir à son meilleur niveau en cultivant haine pure et passion. Ce serait réducteur d’articuler la réflexion du romancier uniquement autour de Julien. Et faire fi de son père Alain, mécanicien hors pair qui change de carbu avec la même virtuosité que Tony Williams derrière ses fûts. Ce serait omettre également François, copain d’hosto et artiste toxico. Et injuste aussi de laisser de côté Emmanuelle, la psychologue. Alain, François et Emmanuelle, c’est la garde rapprochée de Julien pour un roman qui aurait pu très bien s’appeler Le Père, le Fils, la Psy et le Junkie. « Je me reconnais à part égale dans les quatre personnages. Autant chez la psy qui patauge dans sa vie de couple que chez l’artiste au bord de la folie ou chez ce père qui ne sait pas très bien comment élever son fils. »

Antonin Varenne, un roman qui se dévore à tombeau ouvert

Revenu avec Dernier tour lancé à la veine noire de ses débuts, après une poignée de romans d’aventures qui se déroulaient sur et autour du continent américain du milieu à la fin du XIXe, l’écrivain d’une bonne quarantaine d’années concède toutefois que la gestation de ce nouveau livre n’a pas été des plus fluides. « Il m’est déjà arrivé d’avoir des doutes, des questionnements mais c’est la première fois que j’entamais l’écriture sans savoir si j’allais en écrire un autre après. Je ne me disais pas que j’allais arrêter mais par contre, je me demandais pourquoi j’écrivais et où ça allait me mener. C’était une obsession comparable à celle de Julien à vouloir refaire de la moto à tout prix. J’avais utilisé le même genre d’analogie dans un précédent bouquin avec un personnage de boxeur. Le roman s’appelle Le Mur, le Kabyle et le Marin (Prix Quais du polar 2011, en poche aux éditions Points, NDLR) et raconte le parcours d’un appelé de la guerre d’Algérie, Pascal Verini, dont l’histoire est à 90% celle de mon père, Pascal Varenne. Je faisais dire au protagoniste qu’un boxeur a un certain nombre de combats en lui et qu’une fois le nombre atteint, tout s’arrête. Je m’interrogeais à ce propos. Est-ce que je n’avais pas publié tous les romans que je portais en moi au point qu’il n’y en aurait plus d’autres? Comme Julien, j’ai eu des doutes et j’ai serré les dents. »

Antonin Varenne a beau avoir mangé le carrelage lors de l’écriture de Dernier tour lancé, son roman est pluriel. On y retrouve la veine sociétale propre au roman noir et si chère à ses frères de coeur et d’esprit que sont les Marin Ledun, Caryl Férey ou François Médéline. Ainsi que des thématiques déclinées finement comme les relations père-fils et les addictions. Comme dans le vénéneux Requiem for a Dream de Hubert Selby Jr., les quatre personnages ont des profils dépendants. À l’adrénaline, à la vitesse, aux opiacés, à la transmission, à la thérapie ou à l’amour, tout le monde carbure avec entrain. « J’ai des comportements excessifs quelques soient les domaines; heureusement, je n’ai jamais fini à l’hosto et je ne suis pas suicidaire. Par contre, je sais que je dois me surveiller. » Si c’est la condition sine qua non pour donner naissance à l’un des meilleurs romans noirs de la rentrée de janvier, on a envie de lui dire de continuer à prendre soin de lui!

Dernier tour lancé, d’Antonin Varenne, éditions La Manufacture de livres, 416 pages. ****

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