Anna Calvi, la voix royale

Anna Calvi © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Drôle de religion laïque d’une Anglaise au sang italien, livrant un superbe deuxième disque, épique dans ses lubies classiques. Anna Calvi, vorace sur scène et archi-timide dans la vie…

Le disque est remarquable et extrême, sensuel et affirmé comme l’image travaillée sur les photos officielles. A 33 ans, ce sacré moineau, qui cite l’influence de Piaf, impressionne par sa densité musicale. En interview, elle évoque une ado à part, retenue et intimidée par sa propre histoire.

Il y a donc deux Anna Calvi, la fille présente, timide, et puis l’autre, sur scène, affirmée, déchaînée?

Ce sont juste deux aspects de la même personnalité: la scène accentue le côté fort. J’y ai une énorme liberté et m’y trouve sans peur, dans une expression qui me paraît terriblement vraie et honnête. J’aime montrer l’intime à des gens que je ne connais pas.

Tu as d’emblée été consciente de la charge sexuelle de ta musique?

Non, mon attitude m’a semblé simplement naturelle et les gens m’ont fait remarquer cet aspect-là, ce qui, d’une certaine manière, m’a surprise. Etre androgyne dans une petite jupe étroite n’est pas forcément un attribut féminin classique, une charge sexuelle stéréotypée, et il n’y a aucune volonté d’être « sexy » (le mot lui brûle un court moment les lèvres, ndlr) mais plutôt d’amener avec le plus de force possible l’émotion de la musique.

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Ton père est italien, ta mère anglaise: qu’est-ce que cela donne comme éducation?

Mes parents sont tous deux thérapeutes (sourire), donc j’ai appris à énormément parler de mes sentiments. Mon père avait 18 ans quand il est arrivé de Rome pour étudier en Angleterre, il y a rencontré ma mère et y est resté. Enfant, j’ai passé pas mal de temps à l’hôpital parce que je suis née avec des hanches disloquées, donc j’ai subi plusieurs opérations. La dernière fois, je devais avoir trois ans: du fait d’avoir été ce jeune enfant en colère, parce que la douleur était souvent là, j’ai réagi en créant mon propre monde imaginaire. Depuis lors, je n’ai cessé de tisser quelque chose en dehors de moi.

On a l’impression que tu construis un curieux puzzle de douleur et de plaisir…

Je dirais plutôt de tension et de libération: c’est pour cela que j’aime la musique classique qui joue sur des dynamiques bien plus extrêmes que la pop. J’ai commencé à jouer du violon à l’âge de six ans mais c’est un monde extrêmement compétitif: j’aimais beaucoup cet instrument mais je trouvais frustrant de devoir jouer la musique des autres et non pas ce que je ressentais.

Tu as mis du temps à accepter d’être chanteuse. Pourquoi?

Ma voix parlée est très douce et l’idée de chant était pour moi associée à une expression forte, lourde. Puis il m’a semblé que si j’écrivais des chansons, je devais pouvoir les interpréter. J’avais la vingtaine et cela m’a pris des années d’écouter des chanteuses et de comprendre la raison de leur voix. En découvrant Piaf, j’ai aimé la façon dont elle pouvait être violente et vilaine avec sa voix, pure. Le fait qu’elle soit de petite taille m’a encouragée, bien qu’elle soit assez bravache hors scène, contrairement à moi qui n’aime pas être le centre de l’attention.

As-tu autant d’histoires d’amour que Piaf?

(Elle rit) Je n’ai jamais pensé à comparer!

L’album commence par une chanson, Suddenly, qui semble traiter de la dépression. Exact?

J’y parle d’une relation amoureuse terminée et le sentiment qu’au fil du temps, on est toujours sur le point d’en ressentir les effets. Ce disque exprime les constants changements sentimentaux: on ne les contrôle pas et il faut s’en satisfaire. Les meilleures expériences de la vie viennent aussi lorsqu’on est hors contrôle…

Dans la même chanson, le sens du collage entre la marque pop et les inserts classiques est très fort: c’est purement instinctif?

Sur cet album, j’ai voulu être plus extrême, élargir le spectre, exploiter davantage mon instinct classique, exposer plus la beauté et la laideur, qu’elles se combattent, simplement parce que la vie est faite comme cela. C’est comme le son de ma guitare, cru, viscéral: il tranche avec les tentatives plus délicates du premier disque.

Tu es attirée par la perfection tordue, c’est cela?

L’imperfection est la meilleure des combinaisons, les plus belles performances sont celles où on approche une forme d’abandon sauvage. C’est assez thérapeutique de découvrir les endroits extrêmes, les trous noirs, et d’en faire quelque chose. Sans mourir. C’est bizarre, à 33 ans, je ne me sens plus teenager mais pas complètement adulte non plus…

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Les marques chic te demandent de poser, Karl Lagerfeld t’a photographiée et distribue tes disques en faisant une déclaration d’amour à ta musique: ton sentiment?

Ce truc de la mode m’a complètement prise au dépourvu, je ne l’ai pas vu arriver, je ne savais même pas que ce monde existait… Cela m’a amusée, les fringues. Et puis ces gens ont été beaucoup plus gentils et créatifs que ne le laisse penser l’image superficielle de la mode.

Une question essentielle maintenant: tu es plutôt Chanel ou Gucci?

(Elle rit) Les bijoux, c’est génial. Pas ceux que je porte, qui viennent du marché de Portobello (sourire). Ce qui est important, vraiment, c’est de repartir sur la route avec ma musique.

Tu reçois beaucoup de lettres d’amour?

Non, pas tellement (sourire).

Anna Calvi – One Breath

Anna Calvi, la voix royale

Voilà onze morceaux épiques, fleuves et montagnes, balayant toute restriction de style ou de pensée, libres. La voix en open tuning de diva suprême, un panache de guitariste virale, les dissonances et les chemins escarpés des mélodies: Anna Calvi raconte des histoires belles et cruelles qu’on garde en mémoire. L’utilisation des cordes -sur la plage titulaire ou sur Sing To Me- est éloignée de toute zone de confort et visite des territoires baroques: la foudre rock y est revue par la grandeur fantasmée d’une BO de Visconti. La Patti Smith 2.0? En plus charnelle.

DISTRIBUÉ PAR V2 RECORDS. ****

EN CONCERT LE 26 NOVEMBRE AU GRAND MIX À TOURCOING, FRANCE.

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