An Pierlé in het Frans ? « La même, mais en plus folle ! »

An Pierlé: "Alors qu'il remplissait Forest National, j'allais voir Jean-Jacques Goldman devant 300 personnes à Hof Ter Lo" © winter van rafelghem
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Dès ce vendredi et jusqu’au 16 octobre, Francofaune secoue le cocotier musical francophone, avec son mix de découvertes et de créations exclusives. Exemple avec An Pierlé in het Frans, qui permettra à l’aventurière pop flamande d’enfin assouvir ses pulsions francophiles, quelque part “entre la kermesse et la célébration liturgique”!

Trois semaines de festival, quelque 50 concerts, une vingtaine de lieux mobilisés, essentiellement à Bruxelles, mais pas que: jusqu’à la mi-octobre, Francofaune, neuvième édition, va de nouveau décliner ses affinités musicales électives. En français dans le texte, et en suivant sa ligne de conduite habituelle (lire encadré), mélange de découvertes, de proximité, et surtout d’enthousiasme contagieux.

La fièvre Francofaune

On ne change pas un slogan qui gagne: à Francofaune, on cherche à préserver “la biodiversité musicale”, et à mettre en lumière les “espèces musicales en voie d’apparition”. D’où une progra foisonnante (Hoshi, Klô Pelgag, Aurel, Lisa LeBlanc, Mélanie Isaac…), étalée sur trois semaines (dans une vingtaine de lieux bruxellois, à l’exception de dates à Liège et Louvain-La-Neuve). Ici, on l’aura compris, l’accent est moins porté sur les têtes de gondole que sur l’esprit de découverte et l’originalité des propositions. Des exemples? Outre An Pierlé in het Frans, des cartes blanches seront offertes à Isha, Rokia Bamba, DJ emblématique de la scène bruxelloise, Mocke (le groupe Holden) ou Gnignignignigni, le microlabel de Carl Roosens et Barbara Decloux. Les Secrètes Sessions sont évidemment reconduites -une quinzaine de musiciens qui ne se connaissent pas s’enferment pendant trois jours pour présenter un concert inédit. Un joyeux melting-pot à l’image d’un festival mélangeant genres (pop, rap, rock, électro) et territoires (de la France au Québec, de la Belgique à la Suisse), et assez attentif aux questions d’inclusivité que pour proposer une affiche majoritairement féminine…

Parmi les inédits, l’une des soirées les plus attendues est certainement celle confiée à An Pierlé. On est toujours content de retrouver la chanteuse-songwriteuse, figure parmi les plus farouchement libres de la scène musicale d’ici, et ce, depuis au moins deux décennies. Dans ce cas-ci, An Pierlé, Flamande habituée à chanter en anglais, est toutefois l’invitée privilégiée d’un événement à l’ADN francophone. Bizarre? Le festival n’est plus à une pirouette près, prenant depuis le début la langue de Brassens comme fil rouge, mais aussi comme point de départ pour aller voir éventuellement ailleurs… De son côté, cela fait un moment que l’Anverso-Gantoise tourne autour du français, francophile avouée. Cette fois, avec An Pierlé in het Frans, présenté à trois reprises (Liège, Bruxelles, Louvain-La-Neuve), elle se jette à l’eau. Épaulée par l’incontournable Gil Mortio (Joy As a Toy, Valley of Love), elle proposera un concert composé uniquement de titres originaux, restés coincés jusqu’ici dans le disque dur de son ordi…

À vrai dire, c’est loin d’être la première fois que l’intéressée s’attaque au français. En 2002 déjà, elle s’amusait à reprendre (Il est cinq heures) Paris s’éveille de Dutronc. Dans un salon de la Maison Poème, où Francofaune a désormais installé son QG, An Pierlé explique, toujours aussi pétillante: “Parfois, tu tombes sur une chanson, et tu as l’impression que le monde s’arrête. Paris s’éveille, c’était un peu ça.” Ce qui ne l’a pas empêchée de revisiter le monument à sa sauce. “J’étais programmée aux Francofolies de Spa. Comme a priori c’est un festival où l’on chante en français, les organisateurs m’ont demandé si je ne voulais pas glisser l’une ou l’autre reprise dans mon concert. J’ai directement pensé à Dutronc, mais on coinçait un peu dessus. C’était l’époque du Seven Nation Army des White Stripes, et, pour rigoler, Peter, notre batteur, a commencé à jouer le beat. J’ai pris mon accordéon et c’était parti! (rires) Enlevée, la cover est tellement bien reçue qu’An Pierlé finit par l’enregistrer. Et quand elle se retrouve en promo dans l’Hexagone, les radios lui demandent systématiquement de la jouer. “En France, cette reprise a débloqué pas mal de choses. On avait déjà joué là-bas, mais surtout dans le nord, généralement jusqu’où émettait Radio 21 ((très) lointain ancêtre de Tipik, NDLR). Avec Paris s’éveille, on s’est retrouvés à tourner aussi dans le sud. Puis on a fait d’autres reprises dans la foulée: Comme un ouragan de Stéphanie de Monaco ou, Ford Mustang de Gainsbourg…

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Plus récemment, en composant la B.O. du Tout Nouveau Testament de Jaco Van Dormael (Magritte de la meilleure musique de film, en 2016), elle adaptait aussi son Sing Song Sally en français. Et puis, il y aussi les titres qu’elle a écrits pour le duo synth-pop Vive La Fête. Dépliant son laptop sur ses genoux, An fait par exemple écouter la démo de Baiser canon.

Sur le “bureau” de son ordinateur, un dossier a cependant pris de plus en plus d’ampleur ces dernières années. “J’ai contacté une série d’auteurs francophones pour leur demander s’ils ne voulaient pas m’écrire des paroles. Je leur ai envoyé une série de démos sur lesquelles je sifflais juste la mélodie.” Le panel des plumes intéressées ne manque pas d’allure. “Ah oui, j’avais des beaux noms: Antoine Wauters, Amélie Nothomb, Philippe Claudel, Stéphanie Hochet, etc. Pierre Michon voulait bien aussi essayer…” Mais “celle avec qui j’ai le mieux travaillé, c’était probablement Marie Darrieussecq, elle a toujours été très ouverte et réactive”. Thomas Gunzig est également de la partie. “Lui aussi a été très chouette, parce qu’il a une écriture très musicale à la base” (il s’était déjà chargé de l’adaptation de Sing Song Sally pour le film de Van Dormael).

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Passion Mylène

Malgré ce casting prestigieux, le projet n’a pas (encore?) abouti. “ça a été un sacré boulot. Mais à la fin, j’ai bien dû constater que si les paroles étaient très bien, elles étaient souvent inchantables, ou alors ça devient très vite de la “chanson française”. Dans le sens où il y a beaucoup de mots. Quand vous chantez en anglais, vous pouvez tourner une mélodie en cinq mots. En français, il faut le double. En fait, ça m’a aidée à me rendre compte que mon goût pour la chanson était lié aux années 70, où tu avais encore pas mal d’adaptations de titres anglo-saxons, et surtout aux années 80. À l’époque, il y avait toujours pas mal de mots, mais la mélodie gardait quand même le dessus. En fait, en créant le concert pour Francofaune, avec Gilles, j’ai réalisé à quel point ces morceaux m’ont marquée.

Le lien entre An Pierlé et la chanson française n’est donc pas que “professionnel”. Il est surtout affectif. Pour mieux le comprendre, il faut revenir à Jean-Marie. “Mon bon-papa (sic). Il était francophone. Il venait de Bruxelles, mais toute une partie de la famille habitait du côté de Dinant. Ils avaient une maison, à Martilly. Donc, un week-end sur deux, on le passait dans les Ardennes. À Noël, on chantait Tino Rossi. Il y a des vidéos! (rires) Et puis, il y a aussi l’été, la route des vacances en France, l’autoradio et les bals de village, où s’enchaînent les tubes. “Daniel Balavoine, les Rita Mitsouko, Jeanne Mas, etc.” Et puis, il y a Mylène Farmer. An Pierlé a 10 ans quand sort Maman a tort, le premier single de la “Madonna française”. “Je me souviens très bien du moment où j’ai entendu L’Horloge, attablée à une terrasse. Je me suis vraiment dit: “C’est quoi ça?!” Le mélange entre son côté angélique et la noirceur du morceau, les ambiances à la fois baroques et éthérées… Je trouvais ça fascinant. Mon premier concert, c’était d’ailleurs Mylène Farmer à Forest. En tant que fille, c’était aussi une sorte de role model pour moi. Aujourd’hui, je réalise à quel point elle a pu impacter ma musique, je reconnais mêmes des progressions harmoniques, etc.”

Pop in het Frans

An Pierlé ne le cache pas: “Ce projet, c’est aussi de la nostalgie. Où la chanson française est à la fois liée à l’enfance (son grand-père francophone), et plus encore à l’adolescence (les émois musicaux provoqués notamment par Mylène Farmer ou JJG). Mais aujourd’hui quelle est encore la place des chanteurs français/francophones au nord du pays? Présents dans les jukebox flamands des années 60 et 70, on les retrouve encore régulièrement dans les hit-parades des eighties (en 1987, le Hélène de Julien Clerc pointait juste derrière le Bad de Michael Jackson dans l’ultratop des singles les plus écoutés de l’année en Flandre, tandis qu’un an plus tard, Début de Soirée s’accrochait à la Loco-Motion de Kylie Minogue…). Les décennies suivantes seront toutefois plus compliquées. C’est comme si, parallèlement aux études montrant chaque année un intérêt toujours moins grand pour le français dans les écoles flamandes, les stars françaises s’étaient faites elles-mêmes plus discrètes. “J’aime beaucoup La Femme, glisse An, mais ils ne sont pas trop connus en Flandre.” Qui l’est alors? “Quelqu’un comme Angèle, forcément! Pour moi, elle représente à la fois quelque chose de très frais mais avec aussi un goût un peu années 80, en termes d’accords et de mélodies.” De fait, depuis quelques années, de nouveaux noms ont fait irruption dans le paysage musical du nord du pays. Mais moins sur le terrain chanson habituel (tels Biolay ou Clara Luciani, quasi inconnus en Flandre), que sur des créneaux plus pop et/ou rap. Il y a évidemment le cas Stromae. Mais il n’est pas le seul: de Christine & The Queens à Aya Nakamura, c’est désormais via la pop que le français semble se faire le plus facilement une place de l’autre côté de la frontière linguistique.

C’est ta chance

L’autre grande passion française d’An Pierlé s’appelle Jean-Jacques Goldman. Les années 80 sont celles qui voient JJG triompher, vendant des disques (vinyles) par camions. En francophonie du moins. Au-delà, c’est plus compliqué. “J’allais le voir à Hof ter Lo devant 300 personnes. Je connaissais toutes les paroles par cœur! J’avais appris qu’il avait découvert la fille qui chantait là-Bas dans le métro. Du coup, J’étais au premier rang, et j’espérais que Jean-Jacques me repère!” (rires)

Quand An Pierlé se retrouvera à tourner elle-même en France, JJG aura déjà raccroché depuis un moment. Par contre, elle croisera la route d’Alain Bashung -“On a fait sa première partie, mais il était déjà très malade”- ou encore Christophe -“On s’est vus quelques fois, sur des émissions radio. Il était vraiment chouette, original. Il faisait partie de ces gens qui osent se montrer tels qu’ils sont. Souvent, on a tendance à se réfréner un peu, à se cacher. Lui, pas du tout. J’admire ça. De plus en plus, c’est ce que je veux aussi pour ma musique: pouvoir m’y montrer telle que je suis, même si c’est gênant. Parvenir à abandonner cette “honte”, je trouve ça important.

Parenthèse qui n’en est pas vraiment une: il y a quatre ans, les médecins diagnostiquaient un cancer du sein à An Pierlé. Traitée, la maladie a disparu du corps de la musicienne. Mais on peut imaginer qu’elle a laissé des traces psychologiques. “Tout à coup, je suis tombée malade. Je ne pouvais plus jouer. Tout ce qui m’avait définie, construite, s’écroulait. Je me voyais finie. Heureusement, je suis bien entourée, et j’ai reçu énormément de soutien. Pour la première fois, j’ai senti que les gens m’aimaient moi, même s’il n’y avait plus la musique. C’est bête, hein…” Depuis, An a repris le boulot, multipliant les projets, et s’est même lancée dans des études de soins énergétiques. “Ce n’est pas pour ça que je vais commencer à faire de la musique de dauphins, hein (rires). Mais j’assume davantage mes envies. Je ne veux plus avoir peur des critiques.

Aujourd’hui, An Pierlé tourne donc avec son quartet, ou en duo avec son compagnon Koen Gisen; bosse sur un projet de musique baroque autour des femmes mystiques; et ose enfin assouvir ses envies de chanter en français. À quoi ressemble An Pierlé in het Frans? “La même, mais en plus folle. Enfin, non, j’ai toujours été un peu folle. En plus ringard alors? Ce serait bizarre de l’annoncer comme ça. Disons que je veux exprimer des choses profondes, mais dans un packaging plus léger. Je veux pouvoir danser sur scène! En tout cas, je ne resterai pas derrière mon piano. Je vais me faire plaisir. Pour pas que tout ça reste dans les nuages. On va le faire! Et si c’est embarrassant, on s’en fout, on s’amuse!” (rires)

An Pierlé in het Frans, au centre culturel de Chênée (le 09/10), au 140 à Bruxelles (le 11/10), et à la Ferme! à Louvain-La-Neuve (le 14/10).

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