Premier long métrage de Samuel Maoz, Lebanon installe le spectateur dans un char israélien lors de l’invasion du Liban, en 1982. Une saisissante plongée au cour du chaos, Lion d’or à Venise.

Quelques mois à peine après Ari Folman dans Waltz with Bashir, c’est au tour de Samuel Maoz, autre réalisateur israélien, de rouvrir les plaies de l’invasion du Liban, en 1982. Cette guerre, Maoz l’a vécue en première ligne. Ou plutôt de l’intérieur d’un tank, lui qui, alors âgé de 20 ans, servait comme artilleur et a vu sa vie basculer au matin du 6 juin. Un quart de siècle plus tard, il a choisi de traduire cette expérience traumatisante dans Lebanon, un film saisissant en forme de plongée sans filet au c£ur du chaos, avec à la clé le Lion d’or de la Mostra de Venise. Le début d’un marathon promotionnel qui le conduisait à Bruxelles il y a quelques jours, harassé mais heureux…

Lebanon repose sur votre propre expérience de la guerre. Comment avez-vous pris la décision d’en faire un film?

Ce n’était pas tant une décision qu’un besoin. Il y avait le besoin d’exposer la guerre telle qu’elle est, mais aussi celui, si pas de me faire pardonner, de rencontrer une certaine compréhension. J’appartiens à une génération intermédiaire d’Israéliens. Nos parents et nos professeurs étaient venus d’Europe, certains avaient connu les camps. Nous étions des jeunes gens normaux dont les préoccupations tournaient autour de la plage et des filles de Tel Aviv. En un sens, nous avons subi un lavage de cerveau: revenir de la guerre en entier et oser se plaindre de problèmes était presque impardonnable. Mais lors la seconde guerre du Liban, nous avons constaté que faute d’avoir pu parler, nos enfants se trouvaient engagés dans un même processus. C’était, pour moi, la ligne rouge: la question me dépassait moi, avec mes sentiments, mes souvenirs et mes problèmes, il me fallait trouver les moyens de tourner un film qui, a défaut de pouvoir arrêter la guerre, saurait parler aux gens et, qui sait, changer quelque chose.

Comment avez-vous pensé à situer l’action dans cet espace confiné qu’est l’intérieur d’un tank?

L’intrigue devait être basique, et tenir en 8 ou 10 lignes. Plus que les événements, ce qui m’importait, c’était les âmes en sang, ce qui se passe dans l’âme d’un soldat pendant la guerre. Pour comprendre cela, il fallait passer par une expérience très forte. C’est là que j’ai pensé à installer le spectateur dans le tank, de façon à ce qu’il s’identifie totalement avec les personnages et ce qu’ils ressentent.

Comment avez-vous partagé votre expérience de la guerre avec vos acteurs?

C’était une situation extrême, ils ne pouvaient s’appuyer sur rien. Pour les mettre dans la peau de l’équipage d’un tank, je les ai enfermés, à tour de rôle, dans un petit container très sombre et très chaud, pendant 3 heures. Au lieu de tenter de leur expliquer le côté claustrophobe, les ténèbres et la chaleur insoutenable, ils en ont fait l’expérience. Après 3 heures de ce régime, l’énergie est au plus bas. C’est là qu’on a commencé à frapper les containers avec des barres de fer. Après quoi, je les laissais mariner 2 heures, dans l’attente d’une nouvelle salve de chocs qui ne viendrait jamais. Après ce traitement, il n’était plus nécessaire de parler. Il fallait qu’ils soient dans l’état d’esprit approprié, même si cela s’est avéré dur, émotionnellement et physiquement.

Votre film ne pose pas de commentaire sur l’implication d’Israël dans cette guerre. Quel est votre sentiment à cet égard?

Je voulais parler aux gens de mon pays, et si je m’adressais à eux sur le plan politique, je n’allais rien changer, au contraire, les opinions allaient s’exacerber. Si on veut toucher les gens à un autre niveau, il faut passer par le c£ur et les tripes. Une fois que les sentiments entrent en ligne de compte, les formules deviennent incertaines. Une mère ne se soucie pas du fait qu’un soldat soit juif ou arabe, ait tort ou raison, mais si ce soldat est un enfant qui pourrait être le sien, elle va se sentir concernée. La vérité dont je parle est personnelle mais aussi globale, j’en ai eu la démonstration partout où j’ai montré le film, de New York à la Serbie. A la fin, il faut aussi choisir, on ne peut tout faire: si vous avez envie de faire un film politique, faites-le sur les gens qui prennent les décisions. La guerre elle-même n’est pas un événement politique.

Qu’espérez-vous que les gens retirent de Lebanon?

Après l’avoir vu, beaucoup de femmes m’ont dit qu’elles ignoraient que leurs maris, leurs frères ou même leurs enfants avaient ressenti cela, parce qu’ils n’en parlaient pas. Et beaucoup d’hommes m’ont remercié d’avoir fait partager des questions dont ils ne pouvaient parler. J’espère donc que Lebanon va ouvrir l’esprit des gens. Parfois, les politiciens, dans mon pays en tout cas, disent que la guerre est la solution ultime. Pour moi, elle n’est absolument pas une solution. La nouvelle génération est différente, c’est celle de la globalisation, en prise sur un monde auquel elle veut ressembler. Et elle demande des raisons. A une époque, je pensais qu’on n’arriverait jamais à la paix, à cause de la nature humaine même. Aujourd’hui, je pense que c’est possible, non pas pour des raisons humanistes, mais pour des raisons capitalistes. Les gens commencent à comprendre qu’il vaut mieux vivre sans guerre, d’un strict point de vue économique. En Israël, il faut beaucoup suer pour vivre de façon convenable: nous payons énormément de taxes, tout l’argent va à la sécurité. C’est cette raison même qui va conduire à la paix. Mais pour atteindre cet objectif, tous les moyens sont bons, sauf tuer.

Rencontre Jean-François Pluijgers

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