À corps et à cris

© Florence Le Guyon

la chanteuse réunionnaise revient avec Un deuxième album plus coloré, mais toujours hanté par une histoire marquée par l’abus et la violence.

En 2018, l’écoute de son premier album avait fait l’effet d’une déflagration. C’est qu’on ne tombe pas tous les jours sur un tel rugissement, aussi fulgurant que viscéral. Depuis la Réunion, Ann O’aro racontait son parcours, marqué par les abus et l’inceste d’un père tyrannique. Avec, pour elle, une voix magnétique et transperçante qui, parfois, semblait venir de la nuit des temps. La jeune femme chantait sa rage sur fond de maloya, ce « blues » réunionnais dont elle donnait une version décharnée. Pas besoin de comprendre le créole -qu’elle a elle-même appris sur le tard- pour saisir la colère, mais aussi la force et la résilience. Au passage, Ann O’aro établissait l’analogie entre les violences du père et celles subies par la Réunion, île à l’Histoire complexe, marquée par l’esclavagisme et l’engagisme, minée par la violence et l’alcoolisme (le taux de mortalité lié à l’alcool y est 40% supérieur à celui de la métropole).

Deux ans plus tard, la chanteuse-poète revient avec Longoz. Le mot désigne une plante qui envahit les forêts primaires sur les hauteurs de l’île, étouffant certains arbres. Difficile de ne pas y voir une métaphore des violences subies. Mais si Ann O’aro a conscience que l’abus est bien le filtre par lequel elle ne pourra jamais tout à fait s’empêcher d’approcher la vie et les relations humaines, la musique lui permettra aussi de ne pas s’y enfoncer. Danseuse, elle a aussi beaucoup pratiqué les arts martiaux: elle sait parfaitement comment retourner les attaques de l’adversaire pour en faire sa propre force…

À corps et à cris

Pour Longoz, la jeune femme, née Anne-Gaëlle Hoarau en 1990, est ainsi repartie de ses premiers morceaux ( Zantray, par exemple). Elle les a triturés, concassés, détournés pour imaginer une nouvelle matière sonore. Une tactique mise sur pied non pas pour mettre de la distance, mais pour  » sortir du sens« , ou plutôt  » être le sens« , comme elle l’expliquait récemment sur RFI. Le trauma est toujours là, mais comme neutralisé dans le jeu, les mots (en créole, en français et même, furtivement, en anglais sur Soubassement), le chant et la danse. Dans le collectif aussi: contrairement au premier album, conçu quasi en solitaire, Longoz a été imaginé en groupe pour la majeure partie. Ann O’aro a ainsi pu compter sur Teddy Doris au trombone et Bino Waro, le fils du grand Danyèl Waro, aux percussions -dont le fameux rouleur, le gros tambour du maloya. Ils rajoutent des couleurs à une musique toujours aussi magnétique, lorgnant le zouk, le sega mauricien ( Talon Malgash), plus très loin du jazz ou même de la pompe des musiques des Balkans ( Dann Foulkan). Pour autant, la musique d’Ann O’aro n’a rien perdu de sa radicalité, la poésie toujours aussi crue et sauvage, au bord de la folie. Zigzaguant, les morceaux s’emballent ( Wa Sobaté), se tordent et se dénouent ( Les Carillons), où le chant se transforme tout à coup en invective. À la fois beau et puissant.

Ann O’aro

« Longoz »

Distribué par Cobalt.

8

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