À Cannes via smartphone, Godard fait son cinéma et donne la leçon

Jean-Luc Godard © AFP
FocusVif.be Rédaction en ligne

« X + 3 = 1, c’est la clé du cinéma. » A grand renfort d’aphorismes, le cinéaste mythique de la Nouvelle Vague Jean-Luc Godard a donné une improbable conférence de presse à distance, samedi à Cannes devant des journalistes mi-impressionnés, mi-amusés.

Rare moment au Festival de Cannes. En file indienne, attendant sagement leur tour dans une atmosphère de recueillement quasi religieux, des journalistes de tous pays — Japon, Russie, Brésil ou Canada — défilent pour aller poser une question.

Devant eux, un micro et un smartphone, tenu par l’un de ses producteurs.

Et sur l’écran, en direct via une messagerie vidéo, Jean-Luc Godard, 87 ans. Comme lors de ses précédentes sélections cannoises, le cinéaste qui vit en Suisse n’a pas fait le déplacement pour présenter son film « Le Livre d’image », en lice pour la Palme d’or.

Il apparaît cigare au coin des lèvres, cheveux ébouriffés et lunettes sur le nez, la voix chevrotante et caverneuse, comme venu de l’au-delà. Il est applaudi par la salle, tandis que les photographes prennent des clichés du téléphone – « on dirait un bruit de mitrailleuse », plaisante-t-il.

Pendant trois quarts d’heure, il va parler de son film énigmatique, un objet filmique inclassable où se succèdent images et citations en voix-off. Mais pas seulement.

Cinquante ans après le mouvement de contestation sociale de mai 68, durant lequel il avait contribué à faire interrompre le Festival de Cannes, le réalisateur d' »A bout de souffle » évoque aussi « l’ombre de jeunes gens et de gens plus âgés qui étaient à la mort de Pierre Overney », militant ouvrier maoïste tué en 1972 par un vigile de Renault.

« Voilà ce dont je me souviens de 68 », dit-il, citant aussi Gilles Tautin, lycéen maoïste mort noyé dans la Seine cette année-là.

« Fabricant de films »

Interrogé sur le monde arabe, présent dans son film à travers notamment le titre « L’Arabie heureuse », Jean-Luc Godard souligne avoir voulu parler « surtout de comment les Arabes s’occupent d’eux-mêmes, et comment ils n’ont pas vraiment besoin des autres ».

Le cinéaste provocateur se lance aussi dans une envolée sur l’Afrique – où il y aurait, selon lui, plus d’enfants « parce qu’il y a plus d’amour en Afrique qu’en Europe » -, laissant la salle silencieuse. Avant d’ajouter: « Je pense qu’ils n’ont pas compris… », suscitant des rires.

Fera-t-il d’autres films ?, s’inquiète un journaliste. « Oui je pense, si je peux (…) Ça ne dépend pas vraiment de moi, ça dépend de mes jambes, beaucoup de mes mains, et un peu de mes yeux ».

Devant des journalistes respectueux, qui avaient reçu la consigne « de dire bonjour » à Jean-Luc Godard — certains se livrant même à de véritables déclarations d’amour –, celui qui a révolutionné l’écriture cinématographique évoque encore le 7e Art en général. Un air de leçon de cinéma.

« Quand on fait une image, qu’elle soit du passé, du présent ou du futur, eh bien il faut, pour en trouver une troisième qui commence à être une vraie image ou un vrai son, en supprimer deux », explique-t-il à des interlocuteurs parfois perplexes.

« Voilà. X + 3 = 1, c’est la clé du cinéma. Mais quand on dit c’est la clé, il ne faut pas oublier la serrure », dit-il.

Ou encore : « Le cinéma, c’est de ne plus trop montrer ce qui se fait, que vous voyez tous les jours sur Facebook, mais ce qui ne se fait pas, et que vous ne voyez jamais sur Facebook ».

Les acteurs, eux, en prennent pour leur grade, à travers une phrase sibylline: « Beaucoup d’acteurs aujourd’hui contribuent au totalitarisme de l’image filmée, contre l’image pensée ».

Godard, de sa voix fatiguée, siffle lui-même la fin de cette grand-messe insolite: « Bon, je crois que ça va aller… » Laissant les journalistes repartir parfois interloqués. « Vous savez, moi je ne suis qu’un fabricant de films… », les avait pourtant prévenus Jean-Luc Godard.

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