Laurent Raphaël

2016, une nouvelle année de transition, de balbutiements et surtout de questions

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Etant entendu que les bonnes résolutions ne passeront pas l’hiver, on ne perdra pas son temps à en faire la liste -qui ne sera de toute façon qu’un copier-coller de l’année précédente.

De même qu’on ne se hisse par au sommet du mont Blanc en sandales, on ne vient pas à bout de son inertie naturelle par la magie d’un engagement alcoolisé. Il en faut plus pour secouer la poussière accumulée sur le tapis de notre volonté, comme un coup de semonce médical, un revers professionnel ou un naufrage sentimental.

Débarrassé de cette corvée anxiogène, on a pu consacrer les inévitables temps morts du repas de Nouvel An à imaginer de quel bois 2016 allait se chauffer. Pour en arriver à la conclusion que les passions allaient encore une fois nous (pré)occuper. En apparence, dire cela ou affirmer que l’eau mouille, c’est du même tonneau creux. Sauf qu’au douzième coup de minuit, une subtilité est apparue dans ce truisme. Comme un caillou dont la banalité serait subitement transcendée par le motif que l’on y descellerait par hasard sur sa paroi. Sans prétendre épuiser l’équation confuse des temps présents, cette découverte permet d’ordonner un peu le chaos, d’en saisir une grammaire, ce qui n’est déjà pas si mal.

La nature (humaine) ayant horreur du vide, et le néolibéralisme ayant fait la preuve de son incapacité à semer le bonheur universel malgré les promesses publicitaires, notre époque se retrouve dans une configuration inédite, prise en sandwich entre la couche d’un modèle contesté qui a imposé ses règles impitoyables mais prend l’eau de toute part, et une autre qui devrait lui succéder mais dont la nature exacte tarde à se faire connaître. Ce flou entretenant la confusion et poussant tous les damnés de la terre à chercher des solutions non pas dans une nouvelle idéologie progressiste mais dans les recettes du passé ou, ce qui revient au même et parfois au pire, dans ce Dieu brandi comme on s’appuie sur un joker miraculeux au poker: pour sauver une mauvaise main…

Autant le capitalisme est le siège des passions froides, dévitalisées, contrôlées, marketées, autant le brouillard qui le concurrence aujourd’hui est le théâtre des pulsions sauvages, faute d’être canalisées dans un projet fédérateur et humaniste qui ferait rêver de Los Angeles à Moscou en passant par Damas. D’où ce va et vient constant dans l’actu entre prudence excessive, dictature de la procédure, défilé des experts, discours utilitaristes et flambées de violence incontrôlables, sans queue ni tête, dont l’expression même signe l’échec des politiques qui nous servent de balises depuis grosso modo les années 60.

Dans ce contexte très particulier régi par des lois physiques différentes selon les points de vue fleurissent des thèses qui se contredisent et qui pourtant affichent à l’autopsie la même pertinence. Quand le philosophe Alain Deneault dénonce les ravages de la médiocratie (La Médiocratie aux éditions Lux), cette culture centriste qui a imposé le juste milieu comme étalon à tous les étages, il met au jour la véritable nature d’un système qui soumet toutes les facettes de l’existence à la rentabilité. Que ce soit pour imposer le travail à la chaîne (synonyme de déresponsabilisation du travailleur sur le produit fini) ou pour faire le lit d’une forme de trivialité au détriment d’une pensée complexe et émancipée –« Ne soyez ni fier, ni spirituel, ni même à l’aise, vous risqueriez de paraître arrogant. Atténuez vos passions, elles font peur », ironise le philosophe. On applaudit encore quand il appelle à libérer le génie, la flamboyance qui étouffent sous les montagnes de directives et sous les diktats de l’efficacité, alors qu’elles sont la condition d’un changement.

2016, une nouvelle annu0026#xE9;e de transition, de balbutiements et surtout de questions.

Dans le même temps, comment donner tort à ceux qui, dans les médias notamment, appellent Montaigne à la rescousse, et avec lui son sens du compromis, de la tempérance, pour éteindre le feu de ces passions carnassières qui menacent la raison ici et ailleurs? On a l’impression que deux visions du monde incompatibles et potentiellement toxiques se retrouvent coincées dans le même espace exigu. D’où une cohabitation plutôt difficile.

Nous voilà donc condamnés à une nouvelle année de transition, de balbutiements et surtout de questions. Faut-il tenter de réparer le tacot qui nous mène tout droit dans un cul-de-sac? Ou le démonter pour créer un modèle plus fiable? Ou carrément l’envoyer à la casse pour repartir d’une page blanche? Faute de mieux, on tablera sur les ressources insoupçonnées du génie humain pour nous sortir de l’ornière.

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