1967, l’année de grâce (6/7): Love – Forever Changes

Michael Stuart, Ken Forssi, Arthur Lee, Bryan MacLean et Johnny Echols (de gauche à droite), à Los Angeles, en juillet 1967. © MICHAEL OCHS ARCHIVES / GETTY IMAGES)
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Tandis que le flower power bourgeonne, le groupe d’Arthur Lee prévoit déjà la gueule de bois hippie et signe avec Forever Changes un chef-d’oeuvre baroque à la beauté désespérée et flamboyante.

L’année de grâce: chaque semaine, on ressort des bacs une pépite de l’année dorée du rock: 1967.

1966. Le soleil brûlant de Los Angeles. Love est l’un des nombreux groupes garage qui joue Hey Joe sur Sunset Strip. Un de plus? Pas vraiment. Love se distingue de la concurrence dès le premier coup d’oeil par la couleur de peau et la personnalité de son leader. Love est un groupe interracial et Arthur Lee une espèce de freak noir sur la scène des Blancs. Un punk du ghetto avec des colliers et des lunettes fumées. « Le premier mec à avoir vraiment le look de L.A., avec la veste à franges, le Levi’s et les petites lunettes« , raconte David Anderle, manager et producteur proche de Zappa et de Brian Wilson, dans le passionnant bouquin (Waiting for the Sun) de Barney Hoskyns consacré à l’Histoire de la musique angelenos.

« C’est moi qui ai inventé les accoutrements psychédéliques, déclare le principal intéressé aux Inrockuptibles en 1992. À ma connaissance, j’étais le seul Noir qui s’habillait comme ça. Et en 1966, qu’est-ce que je vois? Jimi Hendrix sapé et coiffé exactement comme moi. » Les deux hommes se connaissent. Hendrix a même joué sur l’une des premières chansons que Lee a écrites. Avec son versant sinistre, son côté Mick Jagger black, Arthur fascine. « Jim Morrison s’asseyait souvent devant ma porte quand je vivais à Laurel Canyon, dans l’espoir de traîner avec moi. Je le laissais assis là. »

Idées noires

Beauté luxuriante, attrait menaçant. Forever Changes, le troisième album de Love, incarne la tension entre le punk et le flower power. C’est le son de Los Angeles qui se métamorphose, passant de l’innocence triomphante à l’étrangeté d’une époque bizarre. Son enregistrement commence en juin 1967 au studio Sunset Sound Recorders où ont été façonnées les musiques de nombreuses productions Disney (Mary Poppins, Les 101 Dalmatiens…). Neil Young devait coproduire mais il est retenu par ses obligations avec Buffalo Springfield et ses volontés d’échappée en solitaire… À l’époque, perturbé par Hendrix et son inégalable électricité, Arthur Lee veut s’en aller dans la direction opposée. Le fondateur du label Elektra Jac Holzman lui suggère l’approche subtile et délicate du folk.

Alcool, drogues dures… Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Rongé de l’intérieur par le LSD et l’héroïne, le groupe est alors au bord de l’implosion. Les séances se déroulent dans la confusion. Et les musiciens, trop drogués, se révèlent souvent incapables de jouer. L’ingénieur du son Bruce Botnick a l’idée géniale de les provoquer et de réquisitionner la crème de la crème. Billy Strange (guitare), Don Randi (piano), Carol Kaye (basse) et Hal Blaine (batterie), membres du Wrecking Crew cher à Phil Spector et à son mur du son, enregistrent à leur place les titres Andmoreagain et The Daily Planet… Titillé dans son ego, froissé, le groupe se reprend et va mettre en boîte les neuf autres chansons du disque (le coût des sessions éparpillées sur quatre mois est approximativement fixé à 2 257 dollars) tandis que David Angel, chef de l’orchestre philharmonique de L.A., s’occupe de diriger les cordes et les cuivres.

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Une réponse au Sgt. Pepper des Beatles? Bryan MacLean (qui chante Alone Again Or et Old Man) amène avec lui des guitares flamenco et des trompettes mariachi comme l’influence d’un Prokofiev. Il n’est pas le seul à vouloir ce changement flamboyant. « Arthur et moi étions un peu en compétition comme Lennon et McCartney pour voir qui accoucherait de la meilleure chanson« , déclarait-il à The Independent en 1992. Paranoïa, autodestruction… Disque rongé par la came, Forever Changes reflète le scepticisme de Lee et de Love devant les hippies et le mouvement Flower Power. Arthur, dans le même temps, nourrit des idées lugubres. »Il a même déclaré qu’il était obsédé par la mort quand il avait 26 ans et que Forever Changes était censé être ses derniers mots dans cette vie, dira le bassiste de Love Ken Forssi. C’est comme si la mort y était enfermée. » Cruauté de l’Histoire, injustice de l’industrie… Forever Changes sera un relatif échec commercial aux États-Unis, dû pour beaucoup à la personnalité déroutante de son leader. Love refuse par exemple de quitter la Californie et de partir en concert. « Je ne crois pas qu’il avait envie de voyager et de passer par tout le cirque obligatoire« , commentera Morrison qui se sentait selon certains un peu coupable que les Doors, signés chez Elektra sur recommandation du génie maudit, aient tellement mieux réussi que Love. « L’Amour » est déjà consommé… MacLean survit à une overdose, se barre, devient religieux et étudie la musique classique. Echols et Forssi se font coffrer pour des attaques à main armée dans des boutiques de beignets et purgent des peines au pénitencier de San Quentin. Arthur Lee ne sera plus jamais que l’ombre de lui-même…

1967, l'année de grâce (6/7): Love - Forever Changes

Cover story

Oeuvre de l’illustrateur Bob Pepper, à qui l’on doit des couvertures de romans de Philip K. Dick, la pochette de Forever Changesreprésente un coeur aux couleurs psychédéliques au sein duquel s’entremêlent les visages des cinq membres du groupe. Un artwork tourmenté auquel fait écho à l’arrière du disque une photo elle aussi toute symbolique. Arthur Lee, le regard sombre, y tient dans les mains un vase brisé aux fleurs fanées. Tristement prémonitoire…

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