Serge Coosemans

Zieg Heil you need is love: l’avènement de la Gestaponounours

Serge Coosemans Chroniqueur

Les universités américaines, Black Mirror, Stephen Fry, Bored to Death, Bret Easton Ellis, Zemmour, Destexhe et la Gestapo au menu d’un Crash Test S02E02 répondant donc bien à son cahier de charges: web-phénomènes, sociologie de comptoir, pop-culture et carambolages. Avec en bonus des jeux de mots foireux à la Bruno Coppens.

Il y a cet épisode de la série anthologique anglaise Black Mirror où les gens peuvent en bloquer d’autres dans la vraie vie; comme sur Facebook rendre invisibles à leur petit monde quiconque les dérange. C’est celui avec Jon Hamm, White Christmas et, très curieusement, ce qu’il dénonce est déjà en cours, bien évidemment sans la technologie étrange imaginée dans le moyen-métrage.

Cela fait en effet des années que sur certains campus américains mais aussi ailleurs, des étudiants militent pour le droit de ne pas être offensés, qu’y soient instaurés des espaces où être protégé de toute expression hostile et qu’ils soient aussi avertis des cours dont le contenu pourrait pour eux s’avérer perturbant. Ces initiatives ont été largement critiquées comme infantilisantes et potentiellement dangereuses pour la liberté d’expression, notamment par l’acteur britannique Stephen Fry. Un plus récent article du Courrier International nous apprend aussi que lors de cette rentrée 2016 à l’université de Chicago, le représentant des étudiants s’est adressé aux nouveaux inscrits en leur disant en gros d’aller se faire foutre avec leurs conneries de chochottes bigotes et nazies.

C’est moi qui résume. En fait, au nom de son « engagement pour la liberté académique », il a plutôt déclaré qu’il n’approuvait pas l’idée qu’un étudiant puisse faire en sorte, par différents moyens existants, de « ne pas se trouver confronté à des conceptions ou à des idées contraires aux siennes » ; rappelant que le rôle d’un établissement pédagogique « n’est pas de tenter de protéger les individus contre les idées et les opinions qu’ils trouvent importuns, désagréables ou même offensants ». Ça semble aller de soi mais pourtant il y a débat. Certains directeurs d’universités (qui sont aussi des business, rappelons-le) prennent en effet la défense de ces espaces sécurisés et de ces avertissements pour les cours au contenu sensible, car ils protégeraient certains étudiants étrangers ou issus de minorités ethniques, sexuelles et religieuses de discriminations et même de menaces physiques. L’exemple retenu par le Courrier International pour illustrer ce genre d’avis favorable laisse toutefois circonspect. Un certain Malloy Owen, ex-militant anti-IVG est-il précisé, imagine ainsi un séminaire en sciences sociales où la discussion porterait sur les violences policières et les préjugés raciaux. « Si la classe est composée de vingt étudiants et reflète la composition raciale de l’université, il y aura un ou deux Noirs parmi les participants, dit-il. Et si l’opinion de ces étudiants à l’égard des brutalités policières reflète les moyennes nationales, les étudiants noirs verront un lien entre les préjugés raciaux et ces brutalités alors que la majorité de leurs camarades de classe n’en verront aucun. D’expérience, je peux dire que des étudiants intelligents, doués, dogmatiques et arrogants comme ceux qui peuplent les salles de cours de Chicago ne sont pas toujours en phase avec ce que d’autres ressentent profondément. Prendre la parole dans ces conditions n’est pas si simple, ni dénué de risque. »

Bref, ce guignol nous avance qu’exposer son vécu devant 50 couillons dans un auditoire n’est pas dénué de risque. C’est d’autant plus cocasse que cela se passe à Chicago, où dans les années 60, les Noirs, la jeunesse et les étudiants défièrent la police et la Garde Nationale appelées en renfort, ce qui fit tout de même davantage saigner de nez que de dire tout haut en classe ce que disent par ailleurs 500 albums de rap. Est-ce sinon encore uniquement parce que j’ai de l’ADN de journaliste des années 90 que je pense que le vécu d’un type sachant de quoi il parle vaut encore et toujours mieux que les préjugés de ses condisciples qui n’en connaissent que ce qu’en rapporte Fox News?

Si jeunes et déjà matrones de la société

Ce qui se trame dans ces universités reste relativement anecdotique (1% des établissements appliquent ces mesures et 15% d’étudiants les réclament, mentionne le Courrier International) mais cette exigence du droit à ne pas être offensé, du droit à la bulle protectrice, du politiquement correct à l’américaine (assez différent du politiquement correct à la française) prend énormément d’ampleur. Dans l’un des derniers podcasts de Bret Easton Ellis, Jonathan Ames, le créateur de la série Bored to Death, avouait avoir préféré ne pas écrire un article commandité par une revue de peur de la tempête de commentaires débiles, d’analyses grossières et de véritables lynchages qu’il allait sans doute générer sur les réseaux sociaux. Dans ce même podcast, Ellis a quant à lui véritablement cogné ceux qu’il appellent les « snowflakes justice warriors », les désignant comme « les grand-mères et les matrones de la société », toujours prompts à se montrer horrifiés et « incroyablement offensés », à tel point qu’il leur faut dénoncer et lyncher quiconque défend une opinion un peu trop tranchée et différente. Ellis attribue cela à l’ultra-narcissisme: ce qui dérange, ce n’est pas que quelqu’un s’exprime, c’est que ce qu’il déblatère n’est pas le miroir de la propre pensée de ceux qui le critiquent.

C’est judicieux parce qu’on ne parle pas ici de protester contre les imbécillités de provocateurs nés dont le fonds de commerce consiste à balancer des énormités, comme Zemmour ou Destexhe par exemple, et qui peuvent ensuite se prétendre victimes du politiquement correct quand ils se font allumer en retour, ce qui est un scénario politique. Les réactions que critiquent Bret Easton Ellis répondent le plus souvent à des articles très bénins, où des types disent trouver telle actrice sexy et se font dès lors dégommer pour sexisme ou sont accusés d’homophobie parce qu’ils trouvent gnangnan un show avec des gays. « Le ton hautement moral des justiciers de réseaux sociaux est toujours complètement disproportionné par rapport à ce qui les indigne », dit Ellis, pointant leurs tendances à l’autoritarisme, aux petites règles strictes et à cette extraordinaire habitude de demander des excuses pour tout et n’importe quoi (« n’importe quel sandwich ou salade que vous n’avez pas aimé », raille-t-il). Selon l’auteur, cette sursensibilité aux choses et au monde se transforme petit à petit en véritable culture autoritaire, « régressive, sinistre et irréelle », qui entend en fait imposer une véritable castration intellectuelle et ce, de façon d’autant plus sournoise que c’est en se victimisant, que l’on prône l’interdiction de choquer parce que choquer fait mal et traumatise certaines personnes. Bref, voilà que pointe l’avènement de la Gestaponounours. Zieg Heil you need is love.

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