Rectify, série culte: « Qu’est-ce que vivre dans ce monde quand tu sais que la mort est ta voisine? »

Aden Young dans Rectify. © Sundance TV/Daniel McFadden
Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

Sundance Channel diffuse la troisième saison de Rectify. Son acteur principal Aden Young partage avec nous quelques-unes des clés de compréhension de la très subtile série.

Daniel parle peu. Contemple beaucoup. C’est sa façon de rattraper le temps perdu: être moins dans la parole que dans l’observation. A quoi bon verbaliser de toute façon? Personne ne pourrait réellement comprendre ce qu’il a ressenti pendant 19 ans dans le couloir de la mort, persuadé que la sentence allait s’abattre sur lui d’un moment à l’autre. Condamné pour le viol et le meurtre de sa petite amie alors qu’ils n’étaient tous les deux que des adolescents, Daniel doit aux progrès de la science et à un test ADN l’opportunité d’enfin à nouveau respirer l’air frais. Pas qu’il soit disculpé, non, mais un doute a désormais surgi dans l’équation, l’autorisant à rêver d’un nouveau procès pour s’envoler pour de bon. Quand il sort et rejoint sa famille, dans la première saison de Rectify, Daniel est un adolescent dans un corps d’homme adulte. Il regoûte aux choses simples. Et ça donne des scènes poétiques, souvent bouleversantes. L’Australien Aden Young, dans le rôle de Daniel, parvient à restituer toutes les facettes de cette mutation. Mais pour lui, plus qu’un adolescent, son personnage est un fantôme. « Daniel a passé tant d’années à accepter la mort qu’on lui promettait que lorsqu’il ré-émerge dans le monde, il est presque comme un fantôme, comme un homme invisible. Il doit retrouver qui il était, accepter que l’amour est une part de l’existence et que la vie vaut la peine d’être vécue. Mais il ne peut pas oublier la mort. Même si elle ne rôde plus aussi près qu’avant, il a la sagesse de comprendre qu’elle peut survenir à chaque coin de rue. Quand il sort, quand on le condamne à vivre et non plus à mourir, il essaie de retrouver son identité, qui était celle d’un adolescent. Mais ce qu’il voit dehors lui semble sortir tout droit d’un monde extraterrestre. »

C’est en effet l’une des bonnes idées de cette série lancée en 2013 sur Sundance Channel, et dont la troisième saison a démarré le 4 octobre chez nous. Préservé des changements pendant deux décennies, Daniel garde une certaine forme d’innocence qui lui permet de poser un regard quasi naïf sur les nouvelles technologies et sur la rapidité des échanges auxquels il est confronté à son retour. Pour engager cette réflexion sur nos sociétés modernes, Ray McKinnon, le créateur de la série (que l’on avait vu comme acteur dans Deadwood ou dans Sons of Anarchy), a l’intelligence d’agir par petites touches, sans jamais rien surligner. Rectify, ça parle de rédemption, de solitude et d’identité. Mais ça ne parle pas vraiment: ça chuchote.

Séries cultes

Contemplative par endroits, la série avance à son rythme, donnant l’occasion à Aden Young, pratiquement inconnu au bataillon jusque-là, d’étaler sa puissance de suggestion. Le silence est d’or, dans Rectify. Souvent, il dit plus que les dialogues. Difficile à jouer? « Pour beaucoup d’acteurs, c’est difficile d’avoir une scène dans laquelle ils ont très peu à faire, parce qu’un acteur, quand il devient conscient de lui-même, joue bizarrement. Quelqu’un m’a dit un jour qu’il avait du mal à jouer les scènes de shopping parce qu’il avait perdu l’habitude de le faire dans la vie, il ne savait pas comment se comporter. Dans Rectify, je préfère être que jouer, et j’espère que dans cette façon d’être, la caméra trouve une once de vérité. » On peut le rassurer à ce niveau-là: rares sont les acteurs qui parviennent à incarner l’intériorité et le mystère avec autant de justesse qu’Aden Young dans Rectify: Daniel, quand il sort et se confronte à la méfiance ou la violence de la communauté -avec tout ce que l’Amérique profonde peut avoir de rage en elle-, n’a pas de cynisme en lui, il prend le temps de répondre aux questions, pèse et soupèse ses mots avec une honnêteté qui déconcerte, qui agace.

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On ne va se mentir, sujet grave oblige, le drame de Ray McKinnon n’a rien d’une comédie. On rit peu, pour ne pas dire jamais. Pas plus dans cette troisième saison, davantage centrée sur la relation entre Daniel et son demi-frère jaloux, que dans les deux précédentes. La cruauté de la communauté locale, trop fermée pour accorder de deuxième chance, fait mal au bide. Pour autant, cela ne signifie pas que toute forme de joie ou d’espoir soit gommée. « Non, tout n’est pas noir. On a un personnage qui est sur le point d’être exécuté, avec une famille complètement détruite qui doit se reconstruire. La série est semblable à un grand poème qui parlerait du Tout. De ce qui se passe quand tu es confronté à l’idée de la mort et comment tu peux défier cette idée. Au final, tout ce que tu as, c’est la vie: Rectify explore cette idée. Qu’est-ce que vivre dans ce monde quand tu sais que la mort est ta voisine? »

Confirmée pour une quatrième saison, Rectify devrait à n’en point douter figurer parmi ces séries cultes que les initiés chériront dans les années à venir. Parce que Ray McKinnon, son équipe de scénaristes et son casting ne se laissent jamais aller à la facilité. C’est dense, âpre, mais juste. Très juste.

RECTIFY, SAISON 3, À VOIR SUR SUNDANCE CHANNEL.

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