Politique et séries télé: noirceur, cynisme et lutte de pouvoir

Marseille, avec Gérard Depardieu et Benoît Magimel, est ancrée au sommet de la vie politique phocéenne. Une cité pour le moins bouillonnante. © Marco Grob
Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

Après l’excellent Baron noir, Marseille, première série française produite par Netflix, achève de prouver que la fiction politique a de l’avenir. Décryptage.

Philippe Rickwaert, député-maire PS de Dunkerque, quitte précipitamment le plateau télé où il accompagne son mentor, le présidentiable Francis Laugier, en plein débat d’entre deux tours. Pas le moment de cavaler, clairement. Mais l’heure est grave. Tuyauté par un flic du cru, Rickwaert apprend que la police est sur le point de tout ratisser à l’office HLM de Dunkerque, à commencer par sa caisse noire. Administrateur, le maire est en première ligne. Alors, sans contaminer le candidat Laugier, Rickwaert débarque en pleine nuit dans le Nord, trouve le cash qu’il peut trouver, comble ce qu’il peut combler, et convainc le jeune trésorier de l’office qu’il est le fusible qui devra sauter. Et qu’il sautera seul, premier tour, présidentielle, puis législatives obligent…

Produite par Canal + et diffusée le 7 mai sur Be TV, Baron noir met sans attendre les mains dans le cambouis des affaires. Brutalement, on nous donne les codes, le mode d’emploi: les mauvais payeurs de l’office HLM sont absous contre une carte de parti et, pour renflouer les caisses, les patrons favorisés dans les marchés publics sont priés de raquer. Avec le surplus, on finance les campagnes. Voilà. Une vision sombre, cynique, technique même, mais qui ne sort pas de nulle part: le scénariste Eric Benzekri, passé en son temps par le cabinet de Jean-Luc Mélenchon, est un ancien proche de Julien Dray. Lequel n’a pas tardé à réagir, sentant bien qu’il se diffusait un peu de son ADN dans le personnage du Baron noir: « J’ai le sentiment qu’il (Eric Benzekri) donne une vision de la politique qui n’est pas bonne, avait déclaré l’ancienne figure montante du PS français. Si je ne lui ai appris que ça quand il travaillait avec moi, ça veut dire que je ne lui ai pas appris grand-chose. Parce que dans la politique, il y a peut-être des magouilles, peut-être des manoeuvres, mais il y a aussi des milliers de gens qui font ça par sincérité, par engagement. » Ce que Baron noir ne nie pas, d’ailleurs: aussi pragmatique et sans scrupules soit-il (renversements d’alliances au sein du PS, intrigues, manipulation des révoltes lycéennes…), le personnage de Philippe Rickwaert reste un militant persuadé que sa vision de la société est la plus juste. « Tu me connais, je ne suis pas un homme d’argent », lâche-t-il d’ailleurs au jeune trésorier de l’office, pour le convaincre d’accepter le sacrifice… En cela, Baron noir, portée par un casting exceptionnel (Kad Merad, bluffant, Niels Arestrup et Anna Mouglalis, toujours aussi parfaits), garde une part de lumière. L’engagement de Rickwaert auprès des ouvriers, dans une France industrielle sinistrée, n’est pas feint. La lutte de pouvoir, qui caractérise souvent les fictions du genre, trouve ici une expression plus nuancée, moins strictement personnelle, puisque Rickwaert et Laugier ne convoitent pas le même poste.

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Gérard Depardieu, en baron phocéen

Ce ne sera pas le cas, par exemple, dans Marseille. La série événement, qui réunit notamment Gérard Depardieu et Benoît Magimel dans les rôles principaux, a débarqué le 5 mai sur Netflix (et sera sur TF1 le 12 mai, pour deux épisodes). Son intrigue est ancrée au sommet de la vie politique phocéenne, et scénarisée par Dan Franck, qui s’était fait les dents sur Les Hommes de l’ombre, autre série politique de qualité axée sur le milieu des spin doctors. L’enjeu de Marseille? Comment le maire local (Depardieu), installé aux commandes de sa ville depuis vingt-cinq ans, va devoir composer avec l’appétit de son ex-futur dauphin (Magimel), bien décidé à jouer sa carte personnelle plus tôt que prévu, le tout dans une cité en tout point bouillonnante. Avec Marseille, le géant du streaming à la demande place ses premiers pions dans la production française. Même si le résultat n’est pas à la hauteur des espérances – et c’est un euphémisme -, Netflix reste cohérent dans l’idée de fiction politique: n’oublions pas que sa réputation mondiale s’est en partie construite sur House of Cards, l’un de ses premiers produits d’appel.

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L’ascension machiavélique du démocrate Frank Underwood a fait couler des hectolitres d’encre depuis ses débuts, en 2013. House of Cards, adaptée d’une mini-série britannique du début des années 1990, aborde également la politique sous l’angle assez glaçant du cynisme. Il n’y est quasi jamais question d’idéologie, Underwood n’étant mû que par la soif de pouvoir. Le paradoxe, c’est qu’au fil des saisons, au fur et à mesure de son ascension, Underwood perd du terrain face à… la réalité des présidentielles américaines: quand un homme aussi fantasque et imprévisible que Donald Trump peut raisonnablement briguer l’investiture républicaine à la présidentielle, les scénaristes ont de quoi suer pour surenchérir – autant dire que la saison 4 de House of Cards, sortie en février dernier, apparaît bien fadasse en regard du JT… On conseillera dès lors la (re)découverte de la brillante série Boss (2011-2012) qui, de manière très sombre tout en recourant à moins d’explosions machiavéliques, dresse le portrait du maire de Chicago, atteint d’une maladie incurable, mais plus résolu que jamais à se maintenir en poste. Ou, bien évidemment, de se replonger dans la pionnière The West Wing (1999-2006) – A la Maison- Blanche, considérée comme l’une des premières grandes séries modernes et qui, dans l’Amérique de George W. Bush, donnait aux démocrates un pis-aller fictionnel pour supporter les affres de leur sinistre président. D’où la vision plus optimiste véhiculée par le scénariste star Aaron Sorkin, celle d’un pouvoir encore chevillé aux idées et aux convictions…

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Servir l’intérêt public

La distorsion entre la réalité de la politique américaine actuelle et les fictions censées l’illustrer pourrait pousser, par ailleurs, vers des séries plus authentiquement politiques. Des séries où la chose publique n’est pas qu’un enjeu connexe à des luttes de personnes qui, sans soucis, pourraient fort bien s’exprimer dans d’autres domaines de la société. C’est le cas de la bouleversante Show Me a Hero, diffusée cet été sur HBO. Sous la direction de ce génie de David Simon (auteur des fantastiques The Wire et Treme), les six épisodes montrent l’histoire vraie d’une figure montante de la politique locale confrontée à une situation épineuse aux enjeux moraux. On est dans les années 1980, à Yonkers, près de New York. Et le nouveau maire doit faire face au mécontentement de sa population, majoritairement blanche et de classe moyenne, quant à l’installation imminente de logements sociaux. Un cas de figure qui, au-delà des crocs-en-jambe et des ambitions personnelles, rappelle que la fiction peut aussi s’intéresser aux enjeux de la vie en société. Fût-ce par le biais d’une description politique tout en nuances, et pétrie de complexité narrative.

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Convenons-en, les séries du genre rivalisent souvent de sérieux, si pas de noirceur. Mais il existe aussi quelques pépites à l’humour parfaitement réjouissant. C’est le cas de Veep qui, depuis 2012 et sous le regard incisif du Britannique Armando Iannucci, présente une vice-présidente gaffeuse, au centre d’un cirque politique pas forcément flatteur pour la fonction. A plus basse échelle, la géniale Parks and Recreation (2009-2015) nous emmenait dans le quotidien d’une petite mairie locale, entre une fonctionnaire hyperdévouée à la ville et son boss, libertarien pur jus, persuadé que l’Etat n’a rien à faire dans la vie des gens… In fine, même si le service loisirs de la ville fictive de Pawnee est composé de bras cassés, on sent une véritable empathie pour la politique de proximité…

De Spin City à Commander in Chief, en passant par Alpha House, l’Amérique des séries n’a donc jamais cessé de s’intéresser à la politique. Quel que soit l’angle, plus ou moins personnel, plus ou moins technique, cynique ou idéologique. Le terreau est là. Et n’est pas près de s’essouffler.

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Et en Europe?

Si, actu séries oblige, nous avons longuement évoqué les deux nouveautés politiques les plus en vue de la fiction française, n’oublions pas que le reste de l’Europe n’a pas à rougir dans le domaine. On a vu que House of Cards tirait sa moelle d’une minisérie britannique du début des années 1990, où l’on suit l’ascension, en plein après-Thatcher, d’un élu conservateur. De fait, la Grande-Bretagne n’a jamais lâché le filon: récemment encore, Le Mari de la ministre rappelait, par le biais d’une histoire de couple – où l’épouse arrivait au gouvernement quand son mari venait d’en démissionner -, que le lien entre intérêt général et attrait pour le pouvoir pouvait aussi toucher à l’intime.

Mais si l’Europe peut se targuer d’avoir sorti une série politique qui a marqué son temps, c’est bien évidemment Borgen (2010-2013). La fiction danoise s’attache au sort de Birgitte Nyborg, politicienne dont le parcours n’a pas manqué d’éveiller les parallèles avec celui d’Helle Thorning-Schmidt, qui présida aux destinées du pays scandinave entre 2011 et 2015. Dans Borgen, saluée partout par la critique, il est question de vie de famille et d’enjeux politiques majeurs: à chaque épisode ou presque coïncide un cas de figure auquel pourrait être confronté n’importe quel dirigeant politique européen. Une fiction particulièrement marquante et réussie, qui doit évidemment inspirer les créateurs… notamment belges. En Flandre, le pas a déjà été franchi avec l’acclamée Met man en macht (8 épisodes sur Vier, en 2013), qui suit le destin du bourgmestre de la fictive Ransegem, Gaston Van Opstal. On attend toujours une série politique en Belgique francophone. Mais le retard entre les séries des deux communautés, sensiblement comblé par les réussites que sont La Trêve et Ennemi public (célébrées un peu partout), n’est plus une excuse: parions que, dans un futur plus ou moins proche, la politique bien de chez nous trouvera son expression fictive à l’écran…

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