Laurent Raphaël

L’édito: Le crépuscule des héros

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Quel est le point commun entre Tarzan, Napoléon et le trio assassiné Malcolm X-Medgar Evers-Martin Luther King?

Quel est le point commun entre Tarzan, Napoléon et le trio assassiné Malcolm X-Medgar Evers-Martin Luther King, hormis le fait qu’ils seront tous à l’honneur sur Arte la semaine du 22 avril, le premier avec un documentaire sur les artistes qui ont façonné sa légende, le second avec une évocation plus vraie que nature de sa campagne d’Egypte, et les troisièmes dans le film que Raoul Peck consacre à ces figures majeures de la cause afro-américaine en se glissant dans les pas et les mots de l’écrivain James Baldwin, formidable déchiffreur des ressorts cachés du racisme, et par extension de la psyché américaine (un document exceptionnel déjà diffusé sur la RTBF au début du mois et auquel nous consacrions un dossier)? Ce sont tous des héros au sens classique du terme. Comme Sisyphe, Zátopek, Ali, Batman ou Churchill. Réels ou fictifs, ils occupent un strapontin dans l’inconscient collectif. On peut ne pas adhérer à leurs actions, leurs coups d’éclat, trouver à redire à leurs velléités expansionnistes ou aux lianes de sexisme auxquels ils s’accrochent, mais difficile de leur contester des qualités humaines hors du commun et une détermination à toute épreuve. Chacun dans leur registre, ils ont transcendé leur condition, moins pour la gloriole que par conviction, sacrifiant leur confort, et parfois leur vie, à un dessein supérieur. C’est moins évident pour la créature d’Edgar Rice Burroughs sauf à y voir une métaphore, pour le coup édifiante et spectaculaire, de la capacité de l’être humain à s’adapter à toutes les situations, même les pires. En ce sens, le seigneur de la jungle peut aussi être considéré comme un modèle, qualité première d’un héros.

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Si on fait grand cas aujourd’hui de ces tuteurs historiques, comme d’autres du même calibre, à commencer par De Gaulle dont la double syllabe colossale roule à tout bout de champ dans la bouche des candidats à la présidentielle française -qu’ils soient de droite comme de gauche d’ailleurs-, c’est que nous sommes orphelins de ces personnalités d’exception capables de sublimer un ordinaire sous cloche ou de détourner à elles seules le fleuve de l’Histoire au nom de la justice, de la grandeur de la France ou de la liberté d’action et de pensée si l’on se place dans la perspective existentialiste chère à Camus et Sartre, mise à mal par tous les fondamentalismes. Réalisant la prophétie d’Andy Warhol ou de David Bowie -« We can be heroes, just for one day« -, notre époque ne sécrète plus que des héros en toc, vite apparus vite oubliés, dont les seules vertus consistent à allumer la mèche du buzz au bon moment. Paris Hilton, Kim Kardashian et autres professionnels du divertissement sous vide siphonnent l’énergie vitale de millions de jeunes, mais que restera-t-il de ces imposteurs dans 10, 20 ou 100 ans? Même pas une note de bas de page dans les livres d’Histoire.

Des idoles à consommer express, les filets des réseaux sociaux en sont pleins, mais de grands hommes ou de grandes femmes qui changent la face du monde, portent leur intégrité en bandoulière, c’est devenu rare. Ou alors ils sont dans les coulisses, dans l’angle mort de la société numérique, personnel dévoué des ONG, humanistes repeignant le monde de couleurs vives loin des tablettes et claviers. Et quand ici ou là un sportif ou un politicien semble sortir du brouillard médiatique grâce à sa force de caractère ou à son sens de l’abnégation, plane automatiquement sur ses épaules une suspicion de dopage pour l’un, de clientélisme ou de corruption pour l’autre. Car à force de voir les héros dîner à la table du diable, la présomption de culpabilité a fini par devenir la norme. Un athlète russe qui remporte une course? Suspect. Un beau parleur qui brandit la probité comme un glaive? Suspect. Sans doute que notre dévotion aux images et notre soumission au dieu numérique nous ont fait perdre le sens des réalités, en même temps qu’elles ont fragmenté notre vision du monde. Avoir l’étoffe du héros ne suffit plus non plus. Une malédiction dont Obama a fait les frais, lui qui n’a pas réussi à modifier la couleur de sa patrie malgré un cocktail a priori imparable de coolitude et d’intelligence. Si lui n’y est pas arrivé, alors qu’il avait toutes les cartes en main, qui pourra arracher le ver raciste du fruit américain? Plus que l’élection de Trump, assez conforme finalement à l’air ultralibéral du moment, c’est ce constat qui doit nous désoler. Neutralisés par les forces obscures et insaisissables de la finance, des algorithmes et de l’individualisme, les héros ne sont plus que des marionnettes assurant le spectacle et l’illusion du changement. Résultat des courses: les héros du passé ont de beaux jours devant eux…

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