Serge Coosemans

Critiquer la télé-réalité? Comme on disait dans Trainspotting: I chose not to choose

Serge Coosemans Chroniqueur

Peut-on raisonnablement livrer une critique sensée de la télé-réalité et du bouquin de l’une de ses stars quand tout, de l’âge aux penchants culturels, nous conditionne pour détester ce genre de produits et même le considérer comme décadent? Pop-culture, carambolages et kikou à Alain Finkielkraut, c’est le Crash-Test S01E39.

Il s’appelle Jeremstar et je n’en avais jamais entendu parler avant qu’un coursier ne me livre son bouquin, shit happens. J’ai googlé son nom, j’ai appris qu’il enflammait Nancy (la ville, pas ta cousine), qu’il aurait dit que « pour être star de la téléréalité, il faut être vicieux et vaniteux » (comme Manuel Valls) et qu’à Nancy toujours, une certaine Courtney, 17 ans, aurait déclaré que « Jeremstar nous fait rire ». De son vrai nom Jérémy Gisclon, le bonhomme est né le 4 janvier 1990 à Lyon. C’est un blogueur people, qui a participé à la troisième saison de L’Ile des vérités ainsi qu’à la sixième saison des Anges de la télé-réalité. Ayant arrêté la télévision alors que Jacques Pradel nous montrait un escroc mal déguisé en militaire américain occupé à découper une poupée gonflable remplie de mou pour le chat censée être une créature venue de la planète Zéta du Réticule, je ne connais pas ces émissions. Pas plus que Snapchat, à vrai dire, où, selon Wikia, le wiki de la télé-réalité, Jeremstar est « surtout célèbre » pour s’être exhibé nu sur Internet et dans les rues. Encore un qui a cherché « à être connu sans forcément avoir un talent particulier », explique le site. Comme Charles Michel, huhu.

De son bouquin, Jeremstar n’a visiblement pas écrit grand-chose, la page de garde l’attribuant d’ailleurs à Clarisse Mérigeot, une histrionne littéraire au parcours et au discours assez gratinés. Personne n’a d’ailleurs écrit grand-chose dans ce bouquin puisque sur 125 pages, j’ai compté 158 photos et pas que des petites, ce qui prend tout de même pas mal de place. Ce livre est bien couillon, délirant de narcissisme, mais pas forcément bête. Quelque chose en moi refuse même de jouer le jeu de la lapidation critique.

Déjà, ce n’est pas un vrai manuel pour percer dans la télé-réalité, plutôt un recueil de vannes que je ne trouve pas spécialement marrantes, mais qui me plieraient sans doute en douze si je m’appelais Courtney, que j’habitais Nancy et que j’avais 30 ans de moins. Je dis ça sans la moindre condescendance, sans le moindre snobisme. Je pense en effet que je ne suis tout simplement pas outillé pour pouvoir comprendre ce genre d’humour, de phénomène, et encore moins en pondre une critique censée, quelque chose qui ne soit pas de l’ordre du cliché. Depuis le début de cette chronique, à chaque fois qu’il me faut écrire son nom, je lutte pour ne pas taper « Jeremhamster » et il serait aussi tentant de tirer de son livre l’un ou l’autre extrait particulièrement con, à livrer en pâture à un public qui n’attend que l’odeur du napalm au petit matin.

Je lutte pour ne pas taper u0022Jeremhamsteru0022 et il serait aussi tentant de tirer de son livre l’un ou l’autre extrait particuliu0026#xE8;rement con, u0026#xE0; livrer en pu0026#xE2;ture u0026#xE0; un public qui n’attend que l’odeur du napalm au petit matin.

Citons plutôt ceci, le début du livre: « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé la téléréalité. Quand j’étais enfant, les posters de Nolwenn couvraient les murs de ma chambre (…) J’ai ri en voyant Paris Hilton guider les vaches en jouant de la badine, j’ai vénéré Élodie Frégé. En 2001, à l’époque du Loft, on faisait de la téléréalité pour avoir sa saison de notoriété. Aujourd’hui, on en fait parce que c’est devenu un métier. Un artiste, c’est quelqu’un qui invente à partir de rien. Le candidat de téléréalité est un artiste à sa façon. Il est à la fois le peintre de sa vie et son unique modèle. »

Quand j’étais gamin, moi, j’avais au mur un poster de Lou Ferrigno en Incroyable Hulk et je l’ai gardé longtemps, même quand j’ai commencé à trouver la série nulle, parce que pour ma génération, la X, avoir des posters ringards sur ses murs reste une preuve de grande sophistication. Je n’ai par contre aucun véritable souvenir de moments télévisuels qui m’ont attendri ou fait rire, mais je suis marqué à vie par ceux qui m’ont fait avaler de travers: la fin de Twin Peaks et le deuxième avion percutant la Tour Sud. Qu’un artiste invente à partir de rien, je crois sinon que c’est de la foutaise, mais je suppose que c’est une opinion défendable.

De même, je ne pense pas qu’un candidat de télé-réalité soit le peintre de sa propre vie. Il en serait plutôt la toile, vu qu’il joue souvent un scénario décidé par d’autres. Cela dit, je n’y connais absolument rien en télé-réalité. Je ne sais pas comment ça marche vraiment et ma vision de ces choses-là est au mieux instinctivement cynique, au pire méprisante.

Bref, tous ceux qui, par principe, parleront mal de Jeremstar partageront quelque chose avec Alain Fienkielkraut u0026#xE0; Nuit Debout. Olu0026#xE9;.

C’est pourquoi je préfère déclarer forfait face à ce bouquin et à ce genre de phénomène. Je n’ai pas les codes, pas le même humour, sans doute même assez peu de valeurs communes avec ce jeune gars. Je suis en fait carrément issu d’une génération conditionnée pour détester tout ce que représente quelqu’un comme Jeremstar, totalement encouragé à le considérer comme un véritable symbole de décadence culturelle. Qu’un type comme moi ne puisse décemment écrire sur la télé-réalité sans tomber dans le parti-pris réactionnaire, la formule blasée, l’avis biaisé, les procès en sorcellerie et les clichés sur la bêtise n’a rien d’étonnant, ça semble même relever d’une crasse évidence. Mais remplacez-moi un peu « télé-réalité » par « cinéma populaire », « pop moderne », « frondes sociales lycéennes » et « défiance envers l’establishment politique » et imaginez quelques confrères encore plus âgés et conditionnés que moi chargés de traiter ces sujets.

Comment décemment parler d’un film américain de super-héros ou d’une comédie avec Omar Sy, vu qu’il n’y a plus que ça qui sort, quand on s’est engagé dans la critique cinématographique par passion pour la Nouvelle Vague, John Ford et Ozu? Comment donner envie à un gamin de 16 ans d’écouter un album de pop à guitares de 2016 en citant des références de sa propre adolescence et peu importe que ce soient les Smiths, Rufus Wainwright ou le Yellow Brick Road d’Elton John? Comment résister à la tentation de transformer la critique d’un bouquin comme celui de Jeremstar, dont il n’existait pas vraiment d’équivalent atteignant un tel succès quand nous étions adolescents, en dossier en charge contre la vénalité du milieu de l’édition, plutôt que de l’analyser comme on a pu analyser des bédés acclamées dont nous comprenions mieux les codes, mais qui n’en étaient pas moins fondamentalement nulles?

L’esprit critique est une bien belle chose, mais dès qu’il s’estime plus important que le sujet qu’il est chargé de traiter, dès qu’il oublie aussi qu’il n’est bien souvent que le produit d’un conditionnement et de l’esprit d’une époque forcément limités dans le temps, il a tendance à très vite gagatiser. Bref, tous ceux qui, par principe, parleront mal de Jeremstar partageront quelque chose avec Alain Fienkielkraut à Nuit Debout. Olé.

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