À la télé cette semaine: Drive, L’Église face aux scandales pédophiles, Avarie…

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Films, documentaires, séries et émissions: notre sélection télé pour la semaine du 17 au 23 février.

DRIVE

Film noir de Nicolas Winding Refn. Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston. 2011. ****(*)

Dimanche 18/2, 20h55, Arte.

À la télé cette semaine: Drive, L'Église face aux scandales pédophiles, Avarie...
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Cascadeur pour le cinéma le jour, chauffeur pour des braqueurs la nuit, celui qu’on appelle « The Driver » est un jeune homme solitaire et taiseux. Il s’exprime derrière le volant. Avec brio. À fond. Jamais il ne participe aux casses de ses employeurs. Il assure seulement leur fuite. Et très efficacement. Alors que s’ouvre la perspective d’un sponsoring pour faire de la compétition sur circuit, il va croiser la route d’une jeune femme et de son enfant, tous deux en danger. Rien ne sera plus pareil… Porté par un Ryan Gosling fascinant, au jeu épuré, Drive confirme le talent fou du réalisateur danois Nicolas Winding Refn (prix de la mise en scène au Festival de Cannes), l’auteur de la formidable trilogie urbaine Pusher. Avec aussi une b.o. électro-pop classieuse, un film noir romantique où la violence côtoie les sentiments. Superbe et très attachant! L.D.

ROBERT FRANK: L’AMÉRIQUE DANS LE VISEUR

Documentaire de Laura Israel. ***(*)

Lundi 19/2, 23h40, Arte.

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« L’Amérique vue par un type sans joie qui la déteste. » « Poème triste pour pervers. » En 1958, le photographe et réalisateur d’origine suisse Robert Frank sort son oeuvre la plus célèbre et n’est pas ménagé par la critique: « Flou absurde, lumière sale, horizon aviné, négligence. Une vision décalée des USA », décrivent les plus modérés. En 1955 et 1956, grâce à une bourse Guggenheim, Robert Frank a parcouru les États-Unis avec sa famille et immortalisé leurs habitants. « Ils ont dit: ce type doit haïr l’Amérique pour photographier des gens comme ça. Mais j’étais un chasseur. Un chasseur d’images. Ce voyage m’a appris à l’aimer. » Neuf mois. 16.000 kilomètres. Trente États. Pour 767 rouleaux de pellicule et 27.000 clichés… Il n’en a pas moins fallu dix ans pour que le livre rencontre le succès. Proche des poètes beat, de Corso, Ginsberg, Kerouac, « ces mecs toujours en mouvement qui ne se posaient pas de questions et agissaient », Frank a jeté les bases de la street photography. Cherchant une vérité s’imposant d’évidence. Sur une super bande originale conviant le You Can’t Put Your Arms Around a Memory de Thunders, Tom Waits, le Velvet, Mingus, Yo La Tengo, les White Stripes ou encore Bob Dylan, Laura Israel (Windfall) tire le portrait de son ami nonagénaire. Raconte avec le principal intéressé et ses compagnons de route ses amitiés avec la Beat Generation. Les Rolling Stones qui trouvent son film mortel mais s’opposent à sa sortie (Frank a tourné une vingtaine de longs, de courts et de docus expérimentaux). Zoom sur un personnage passionnant et un travail qui l’est tout autant. J.B.

COMPLOTISME, LES ALIBIS DE LA TERREUR

Documentaire de Georges Benayoun. ***(*)

Lundi 19/2, 01h40, France 3.

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Même les plus fielleux criminels sont en quête d’un sens qui puisse conférer à leurs actes une valeur de rédemption. Chaque exaction, aussi odieuse soit-elle, nécessite un prétexte de façade et son cadre d’interprétation afin de lui prêter un fondement. La solution la plus aisée est d’en travestir la cause. Le mythe du séculaire complot s’est immiscé dans le débat démocratique. Sur un fond de doute méthodique, sont fomentés sur la toile ou les chaînes satellitaires des récits qui réfutent toute forme de discours officiel. Cette rhétorique de propagande, outil d’embrigadement diablement efficace, n’est-elle pas l’un des principaux alibis de la terreur? « Douter de tout pour ne plus douter du tout » comme le résume idéalement l’un des nombreux intervenants. Ce documentaire, qui se fonde sur des entretiens nourris avec des experts et des témoignages de victimes, nous éclaire sur la façon dont le terrorisme s’abreuve de cette diversion implicite pour stimuler une fureur dont rien n’annonce l’apaisement. M.U.

L’ÉGLISE FACE AUX SCANDALES PÉDOPHILES

Documentaire de Jesus Garces Lambert. ***(*)

Mardi 20/2, 20h50, Arte.

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Cinq ans après que le pape François a promis une « tolérance zéro » pour les membres du clergé catholique auteurs d’abus sexuels, la reconnaissance des victimes apparaît comme l’unique et timide avancée de ce chantier aussi glauque que nécessaire. « Deux tiers des prêtres convaincus de viols ou d’agressions sexuelles sur mineurs sont toujours en exercice » nous annonce face caméra l’historien John Dickie, co-auteur avec Lucio Mollica de ce documentaire instructif mais jamais exhaustif, tant les affaires semblent couver partout dans le monde, d’Angleterre en Argentine, d’Italie en Pennsylvanie. Si le commentaire récurrent d’un Dickie en mode Tintin reporter écorne le sérieux de l’entreprise, les témoignages des victimes, prêtres dissidents, ecclésiastiques en aveux et psychologues révèlent des mécanismes ancestraux et scandaleusement archaïques. Si toute institution a dans son ADN suffisamment de réflexe de survie pour se protéger, l’Église Catholique romaine, aussi sainte et apostolique soit-elle, a montré une constance, une diligence et une perversité inouïes pour se maintenir au-dessus des vagues d’un scandale qui aurait dû la mettre à genou depuis belle lurette. Sans être un réquisitoire à charge, le documentaire réalisé par Jesus Garces Lambert en est la démonstration implacable, minutieuse et d’autant plus glaçante qu’elle n’est pas la première du genre. N.B.

LES ADIEUX À LA REINE

Drame historique de Benoît Jacquot. Avec Léa Seydoux, Diane Kruger, Virginie Ledoyen. 2011. ****

Mercredi 21/2, 20h55, Arte.

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Benoît Jacquot donne un coup de neuf au film historique avec cette évocation saisissante du début de la Révolution française vue à hauteur de femmes. Il nous fait suivre Sidonie Laborde (Léa Seydoux), qui exerce l’activité de lectrice auprès de la reine Marie-Antoinette (Diane Kruger). Les bruits venus du dehors annoncent des troubles, une révolte, mais au château de Versailles tous n’y croient pas et pensent que la cour se trouve bien à l’abri derrière ses murs. Rapidement, pourtant, les choses vont basculer… Le réalisateur des Enfants du placard, des Ailes de la colombe et de Sade filme caméra à l’épaule une action ancrée dans le réalisme le plus prenant. Ses actrices sont superbes (Virginie Ledoyen aussi) et la vision des Adieux à la reine s’avère une expérience haletante, éclairante, émouvante. L.D.

LA CHASSE AUX FANTÔMES

Documentaire de Raed Andoni. ***(*)

Mercredi 21/2, 23h25, Arte.

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Dans le domaine du documentaire au tournage cathartique, après The Act of Killing et The Look of Silence de Joshua Oppenheimer, qui s’intéressaient au génocide indonésien, La Chasse aux fantômes nous plonge dans le conflit israélo-palestinien. Raed Andoni a réuni des comédiens et des professionnels du bâtiment (géomètres, maçons, architectes, menuisiers…) ayant un étrange point commun. Ils sont tous passés par les geôles israéliennes. Notamment la Moskobiya. Avec eux, dans un hangar de Ramallah, il reconstitue ce qui reste le principal centre pénitentiaire de Jérusalem. On voit le film se construire. La tenue des auditions, la confection des décors… Tandis que les anciens incarcérés expliquent leur détention, rejouent des scènes parfois terriblement humiliantes qu’ils ont jadis vécues. Un film poignant, interpellant, poétique aussi parfois, dédié « aux 750.000 Palestiniens qui ont fait l’expérience des prisons et centres interrogatoires israéliens depuis 1967. » J.B.

PIÈCES À CONVICTION: ENQUÊTE SUR LES MILLIARDS DE L’EUROPE

Magazine présenté par Virna Sacchi. ***(*)

Mercredi 21/2, 23h30, France 3.

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« Aujourd’hui, un fonctionnaire européen débute à 3.500 euros par mois, net. Ensuite, ça grimpe tout doucement au fil des années. Ça a grimpé plus vite tout un temps. Ça grimpe un peu plus doucement aujourd’hui. La crise a touché partout… On finit pour l’instant, grosso modo, autour de 9.000 euros net par mois. » Ces propos sont de Serge Levenheck, chef d’unité de l’interprétation française au Parlement. La preuve effrayante qu’on ne vit pas tous dans le même monde. La même Europe non plus d’ailleurs. Les 300 millions d’euros pour un bâtiment inutile, les armadas de traducteurs qui bossent dans le vide (sans souvent une seule personne pour les écouter) à 420 euros net la journée ou encore les écoles européennes, 15.000 enfants scolarisés pour un coût total de 200 millions d’euros par an. Puis, bien évidemment, les déménagements de Bruxelles à Strasbourg, une fois par mois, qui coûtent plus de 25 millions d’euros annuellement… Si vous avez envie de vomir l’Europe, ses institutions et ceux qui vous y représentent, c’est par ici que ça se passe. Le magazine d’enquête Pièces à conviction se penche sur les gros salaires, les privilèges et les gaspillages inscrits dans l’ADN de l’Union européenne. Un bon travail d’investigation pour mettre des chiffres sur des aberrations.

AVARIE

Documentaire de Philip Scheffner. ****(*)

Mercredi 21/2, 00h55, Arte.

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Rien ne peut vous préparer à l’expérience visuelle, intime, perturbante et hypnotique d’ Avarie. À moins d’avoir vu le court-métrage réalisé en 2002 par Alejandro González Iñárritu, tiré du film collectif 11’09″01 – September 11, dans lequel le réalisateur mexicain entrecoupait un écran noir et silencieux de plans flash traversés par les « Jumpers », ces personnes sautant dans le vide le long des tours du World Trade Center. Les bruits de panique, exclamations, commentaires des chaînes d’infos accentuaient l’impression d’immersion dans réalité brute de l’horreur, sans commentaires. Le 14 septembre 2012, onze années presque jour pour jour après la tragédie qui a marqué le début d’une nouvelle ère mondiale, le bateau de croisière Adventure of the Seas repère, en mer Méditerranée, non loin des côtes espagnoles, un canot de sauvetage avec treize personnes à bord. Le frêle esquif, dégonflé, ne peux supporter très longtemps son équipage, probablement des réfugiés. Sur le pont du paquebot, un touriste filme la scène, qu’il postera sur YouTube. Quelques minutes d’une ombre flottant sur un bleu profond. Reprenant cette image dans un ralenti saccadé, Philip Scheffner y associe, en fond sonore, comme un écho au travail d’Iñárritu, les dialogues entre les garde-côtes et l’équipage américain, des témoignages de passagers, des récits d’exilés fuyant conflits et misères, des chants d’oiseaux, des frémissements de pluie ou de vent, des chants d’amour. Tout est entre vie et mort. Ce n’est pas le drame d’un jour, fût-il abominable, qui captive notre regard durant près d’une heure et demie, mais la tragédie de l’époque, la violence du temps, le terrorisme, le conflit en Ukraine, les opérations militaires hasardeuses et irresponsables de l’Occident, le fracas sourd des frontières qui se ferment, les corps qui se noient quotidiennement sur ou en dehors de nos écrans. Les quelques secondes de chute des Jumpers ont semblé interminables, la dérive de ce canot au passagers indéfinis (ils pourraient être marins, migrants, pêcheurs, peu importe) l’est tout autant et semble préfigurer celle de notre humanité. Ce point d’ombre qui progressivement sort de l’écran jusqu’à nous laisser face aux réflections de l’eau est un geste cinématographique puissant qui, paradoxalement, laisse l’impression que tout n’est pas perdu, que rien n’est inexorable… qu’il suffirait de tendre le bras pour changer le cours de l’Histoire. Mais ceci n’est pas arrivé aujourd’hui, ni hier, ni la semaine dernière. Ni le mois ni l’an dernier. C’était le 14 septembre 2012… C’était il y a plus de cinq ans. C’était il y a une éternité. Et nous laissons toujours faire. N.B.

LA BRIGADE DES PAPIERS

Documentaire de Diane Perelsztejn. ****

Vendredi 23/2, 22h45, La Une.

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Entre 1941 et 1943, 40 écrivains et intellectuels juifs ont bravé l’occupant nazi en Lituanie. Ces poètes, hommes et femmes de lettres, ont tutoyé l’horreur, la peur et empoigné un courage étonnant pour sauver de l’autodafé les collections des bibliothèques de la ville. « Chaque personne est un livre, chaque esprit est un livre. Nous sommes supposés être le peuple du Livre. Mais qui est ce « nous »? » Les mots de Avrom Sutzkever, dernier survivant de cette Brigade des Papiers avec le peintre Samuel Bak, ouvrent ce récit d’une résistance peu connue. Alors que, depuis le 24 juin 1941, la machine exterminatrice nazie a créé le ghetto de Vilna (actuelle Vilnius) pour 60.000 Juifs, celui-ci resserre très vite ses murs autour d’une population qui n’est plus que de 18.000 en octobre de la même année. « Si nous n’avons pas la chance d’être sauvés, les livres, eux, survivront ». Un travail clandestin et astucieux sera mis au point pour trier puis cacher et protéger durant trois ans une somme considérable de livres destinés à disparaître dans les flammes ou un fond d’archives à Berlin. Une énergie de vie folle va permettre que le récit, l’Histoire, l’esprit, la mémoire, l’intelligence se transmettent, quand la pulsion de mort exige que toute trace soit à jamais effacée. Dans un style classique mais rigoureux, austère dans sa forme mais vibrant dans son propos, Diane Perelsztejn retrace une des plus surprenantes et inspirantes entreprises de résistance de la Seconde Guerre mondiale. N.B.

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