Critique

[À la télé ce soir] La Belge Histoire du Festival de Cannes + Sissako, Timbuktu et le monde

Émilie Dequenne entourée des frères Dardenne, Palme d'Or et Prix d'interprétation féminine en 1999. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Ce soir, un documentaire sur les Belges à Cannes, ainsi que le splendide Timbuktu suivi d’un documentaire sur son réalisateur, Abderrahmane Sissako.

La Belge Histoire du Festival de Cannes

DOCUMENTAIRE RÉALISÉ PAR HENRI DE GERLACHE. ***(*)

Ce mercredi 24 mai à 22h00 sur La Une.

Ça ne commence pas à la Côte d’Azur mais à la mer du Nord. Histoire de nous rappeler que, dans le temps, Ostende avait postulé pour accueillir ce grand festival de cinéma libre et indépendant qui aurait été le bienvenu dans l’Europe fascisante des années 30 mais dont la première édition fut annulée. Son coup d’envoi, le 1er septembre 1939, coïncidant avec l’envahissement de la Pologne par l’Allemagne. C’est cependant une grande et belle histoire d’amour que celle de la Belgique avec le Festival de Cannes. De Storck aux Dardenne, 120 films du plat pays y ont été sélectionnés toutes compétitions confondues. Diffusé ce mercredi sur la RTBF (qui l’a coproduit), deux jours seulement après sa présentation officielle sur la Croisette (le film est en compétition pour l’oeil d’or dans la section Cannes Classics), La Belge Histoire du Festival de Cannes raconte le septième art noir-jaune-rouge et ses relations depuis 70 ans avec le plus célèbre rendez-vous cinématographique au monde pour mettre en valeur toute sa diversité et son originalité. Écrit et réalisé par Henri de Gerlache (Le Choix de peindre, Vincent Van Gogh), raconté par Stéphane De Groodt, le documentaire d’une petite heure se présente sous la forme d’un road movie en camping car. Il s’en va discuter à la côte avec Arno. Rend visite en pleine campagne à Raoul Servais qui a présenté Harpya à Cannes en 1979 et fut le premier Belge à décrocher la Palme d’or (celle du court métrage qui lui a aussi servi de passeport pour retrouver sa femme en Italie). Ou encore s’en va tailler la causette avec Marion Hänsel au sujet de son Between The Devil and the Deep Blue Sea. Jaco Van Dormael parle de son Toto le héros et des interviews de Pascal Duquenne sur la Croisette pour Le Huitième Jour. Benoît Mariage retrace l’aventure cannoise de son Signaleur. Puis celle de ses Convoyeurs attendent. Il y a des cinéastes d’hier et d’aujourd’hui. Des extraits de films et des images d’archives. On raconte où évoque brièvement Simenon, président du jury qui remet la palme à Fellini. Delvaux dont trois films ont gravi les marches. Les Dardenne qui y ont été sélectionnés six fois en quinze ans… Mais aussi Les Mouettes meurent au port avec le père de Mathias Schoenaerts. Ou évidemment les ovnis que furent C’est arrivé près de chez vous et La Merditude des choses. Outre les anecdotes, nombreuses, l’un évoque le violent passage de l’ombre à la lumière. L’autre la pression et l’attente que le festival suscite pour les producteurs. L’obsession d’être à Cannes qui galvaude un montage… Riche, cette Belge Histoire n’a de défaut que son procédé itinérant un peu trop scénarisé parfois. Ce camping car emménagé en maison des souvenirs. Mais pas de quoi de gâcher la promenade. (J.B.)

Timbuktu oppose à l'horreur la beauté et l'imaginaire au dogme.
Timbuktu oppose à l’horreur la beauté et l’imaginaire au dogme.© DR

Timbuktu

DRAME DE ABDERRAHMANE SISSAKO. AVEC IBRAHIM AHMED DIT PINO, TOULOU KIKI, ABEL JAFRI. 2014. ****(*)

Abderrahmane Siszsako, cinéaste aux semelles de vent

DOCUMENTAIRE DE VALÉRIE OSOUF. 2016. ***(*)

Ce mercredi 24 mai à 20h55 et 22h30 sur Arte.

Le jury du Festival de Cannes 2014 n’a pas eu le cran de décerner sa Palme d’Or au meilleur film de la compétition. Timbuktu s’imposait comme une évidence mais le manque de courage devant la progression de l’Islam radical et la peur d’encourir quelque reproche (absurde!) d’islamophobie l’ont tristement niée. Abderrahmane Sissako n’en a pas été dupe, lui dont le film n’est pourtant en aucun cas une attaque envers la foi (un iman courageux y exprime une vision tolérante de la religion). S’il a fait Timbuktu, c’est avec un sentiment d’urgence. Car comment détourner les yeux, quand les djihadistes font régner la terreur et soumettent une population malienne à l’occupation la plus oppressante et sanglante? L’action se déroule dans les environs de Tombouctou, sous le joug de mouvements salafistes armés, qui allaient être chassés par les troupes françaises et maliennes en janvier 2013. Hymne à une résistance passant par l’humour, la musique, le choix de la lumière face à l’obscurantisme, le film de Sissako est tellement plus qu’une (nécessaire) dénonciation. Il oppose à l’horreur la beauté et l’imaginaire au dogme. Le cinéaste mauritanien, dont l’enfance se joua au Mali, sait mieux que personne filmer en poète les troubles du monde. Avec une liberté d’autant plus sublime qu’elle ose la fragilité contre la force. Martin Scorsese évoque à son propos un « calme » que Sissako lui-même exprime quand il dit « préférer chuchoter plutôt que crier ». L’intéressant documentaire de Valérie Osouf, diffusé juste après Timbuktu, révèle bien d’autres aspects majeurs du travail du cinéaste. Comme l’importance du doute (« la qualité indispensable pour faire des films »), qui ne l’a jamais quitté tout au long d’un périple qui lui a fait prendre le chemin de Moscou pour y suivre les cours de la plus ancienne école de cinéma du monde (VGIK), et qui l’amène aujourd’hui à Canton pour un film consacré aux rapports entre la Chine et l’Afrique. En passant par la côte mauritanienne d’En attendant le bonheur (2002) où s’échouait sur la plage le corps sans vie d’un jeune qui rêvait d’émigration… (L.D.)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content