Critique

[À la télé ce soir] Héroïnes

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Nicolas Bogaerts Journaliste

De défilés de lingerie en matchs de catch, les femmes aux traits fatigués ont pour dernier recours leurs corps, comme une allégorie de la lutte pour la survie, de la compétition et des apparences élevées en valeurs de prime time. Jusqu’à ce que tombent les masques.

Saint-Charles, Île-de-France périurbaine. Ses grands ensembles, ses dalles de béton, ses rues pavillonnaires désertes, son hypermarché qui tient lieu de centre-ville. L’usine locale vient de fermer et face aux pouvoirs publics impuissants, les habitants joignent tant bien que mal les deux bouts, angoissent à l’idée de ne pouvoir remplir leur caddie de surgelés, conserves et viandes préemballées. L’extrême droite, incarnée par le Parti National, attend de cueillir le fruit pourri du ressentiment. Quatre femmes essaient pourtant de relever la tête: Nathalie (Marie Denarnaud) lance sa marque de lingerie; Selma (Naidra Ayadi) milite au PN, dont elle est la caution « beurette »; Céline (Romane Bohringer) tente de surnager dans le marasme de sa vie familiale; Agathe (Marie-Sohna Condé), femme de ménage à Paris, élève seule son fils dealer Silver, et tente de faire venir sa fille Hawa du Mali. Pour sortir de l’ornière, des matchs de catch féminins sont organisés, dont Céline et Agathe seront les championnes masquées. Le portrait qu’Audrey Estrougo dresse de la France dans la minisérie Héroïnes ressemble à une collection de situations et de questions estampillées « vu à la TV », de celles qui émaillent JT, reportages sensationnalistes et docus à prétention réaliste. À ce titre, c’est une réussite: le tissu social réduit à peau de chagrin, le chacun pour soi, la dédiabolisation de l’extrême droite, le cynisme politique et l’absurdité de ces petites villes vides de tout sauf des matrices de la consommation. De défilés de lingerie en matchs de catch, les femmes aux traits fatigués ont pour dernier recours leurs corps, comme une allégorie de la lutte pour la survie, de la compétition et des apparences élevées en valeurs de prime time. Jusqu’à ce que tombent les masques. Tout ceci tiendrait à merveille si une réalisation caméra à l’épaule trop nerveuse, à coup de zoom in/out incessants, de tremblements inutiles, appuyés par des prestations inégales, ne venait empêcher de dérouler le fil d’une pourtant bonne histoire.

MINISÉRIE D’AUDREY ESTROUGO. AVEC ROMANE BOHRINGER, MARIE DENARNAUD, NAIDRA AYADI ET MARIE-SOHNA CONDÉ. ***

Ce jeudi 16 février à 20h55 sur Arte.

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