Critique

[À la télé ce soir] Frank Sinatra: All or Nothing at All

Rita Hayworth (Vera Simpson), Frank Sinatra (Joey Evans) et Kim Novak (Linda English) dans La Blonde ou la rousse © Columbia Pictures Industries
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Septembre 1942. Sinatra, alors chanteur d’orchestre, quitte celui dirigé par le trompettiste Tommy Dorsey à qui il a volé la vedette.

Très possessif avec ceux qui l’accompagnent, Dorsey lui a fait signer un papier: Frank devra lui verser à vie un tiers de son salaire… « Il m’a intenté un procès et on m’a accusé d’avoir fait appel à la mafia, explique The Voice. Un individu non identifié aurait menacé Tommy Dorsey pour qu’il mette un terme à ce contrat. C’était totalement faux. L’homme qui a réglé ce différend dirigeait la Fédération des artistes de radio. Il est allé le voir et lui a dit qu’on pouvait trouver un terrain d’entente. [… ] Il lui a demandé: « Ça vous plaît d’être écouté dans les hôtels et dans tout le pays? » Dorsey a répondu: « Bien sûr! » « Eh bien ça ne va pas durer. » »

Cette incroyable anecdote qui en dit long sur l’industrie musicale de l’époque se déroule juste avant les débuts de sa carrière solo, mais est l’un des moments savoureux de l’imposant et passionnant documentaire d’Alex Gibney sur le chanteur lover, éternel roi des crooners. Un documentaire définitif de quatre heures. Pas très original dans la forme, certes. Mais d’un classicisme d’esthète. Dans le genre de ce que Scorsese a fait pour Bob Dylan et George Harrison.

All or Nothing at All commence par la fin, sa retraite, sa mort, pour finalement retracer de manière chronologique la vie d’un homme qui en a eu mille. Celle d’un poète de la solitude (elle hantait toutes ses chansons), idéal romantique pour les jeunes filles en fleur. Celle d’un artiste libéral de gauche en avance sur son temps qui a combattu les injustices et la discrimination raciale. Proche de la scène afro-américaine et profondément influencé par les musiques noires. Uniquement illustré par des images (vidéos et photos) d’époque sur lesquelles se posent de multiples témoignages (ceux de ses enfants, de ses femmes, amis et collaborateurs), le docu de Gibney n’est pas pour autant à sa gloire et a le mérite de ne pas éluder les questions qui fâchent. Il s’appesantit sur ses années noires. Celles où Sinatra ne vend plus de disques, est pris en grippe par la presse et abandonné par sa voix… Payé au tarif d’un technicien pour son rôle dans Tant qu’il y aura des hommes (qui lui vaudra un Oscar). Et dévoile ses relations avec la mafia et Kennedy. Son côté dédaigneux et tyrannique. Sa carrière d’homme d’affaires. Et, plus étrange, son attitude et son humour déplacés avec Sammy Davis Jr., bouffon du roi. All or Nothing at All est l’histoire d’un homme à femmes qui aimait le pouvoir, qu’il soit licite ou pas… Chaudement recommandé.

DOCUMENTAIRE D’ALEX GIBNEY.

Ce mercredi 23 décembre à 20h55 sur Arte.

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