7 perles dénichées dans les archives de la Sonuma

"Harlem, un été long et chaud" © Sonuma
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Tout l’été, Focus s’est attelé à déterrer les trésors cachés dans les archives audiovisuelles de la RTBF. Dutronc, Coltrane, le punk expliqué aux enfants, l’Amérique raciale de 1964… Revoici les sept, sous forme d’un best of plein de nostalgie (et parfois très WTF).

John Coltrane

Il fait froid et la tête du batteur Elvin Jones ressemble à un volcan fumant. Le 1er août 1965, John Coltrane se produit au Festival de jazz de Comblain-la-Tour, lancé six ans auparavant par Joe Napoli. L’ancien G.I. qui a vécu l’Offensive von Rundstedt dans ce village de la province de Liège y ramène des talents majeurs comme Ray Charles, Nina Simone ou Chet Baker. Le sax soprano de Coltrane, auréolé de la gloire d’A Love Supreme, conduit ce qui est alors son quartet classique avec le déjà mentionné Jones à la batterie, McCoy Tyner au piano et Jimmy Garrison à la contrebasse. Ils jouent My Favorite Things, standard de Rodgers & Hammerstein, sous l’oeil des grosses caméras noir et blanc de la RTB (alors sans F), avant d’être précocement interrompus après 2 minutes 40 secondes de musique essentielle. Coltrane mourra à l’été 1967 d’un cancer du foie, à 40 ans. Peu de chance qu’il ressuscite, contrairement au festival de Comblain-la-Tour, relancé en 2009, et qui a eu lieu ces 1er, 2 et 3 juillet.

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Dutronc dans Comics à gogo

A la fin des années 60, la télé privée est encore une espèce rare, à l’exception de Télé-Luxembourg qui émet depuis 1955. Les plateaux de sous-café du commerce où l’on convie les chanteurs aux banalités ne polluent pas encore le petit écran. La RTBF, toute dévouée à son idée de service public, met donc Jacques Dutronc en scène dans un univers inspiré de la BD. 1969, année hérétique parfaitement servie par L’Opportuniste, moquant ouvertement les retourneurs de veste: Dutronc, au sommet de l’ironie galopante, est intronisé dans un décor aussi pop art que bande dessinée. Avec figurants, danseuses, fausses machines à délires et vrai cigare -un impressionnant barreau de chaise qui rappelle qu’on fumait encore sur les plateaux TV d’époque. Comme dans les avions. A la réalisation maison, Léo Quoilin s’inspire des mises en scène colorées de son équivalent français, Jean-Christophe Averty, sorte de Michel Gondry d’avant l’âge digital.

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Depardieu, une jeunesse

« Vous êtes né à Châteauroux, je crois. » « Oui, je suis né à Châteauroux, je viens un peu du même monde que Les Valseuses, sans cette naïveté, parce qu’il y avait une fraîcheur dans la délinquance (il s’arrête) on s’amuse beaucoup. » Sur le plateau de Cinéscope diffusé le 22 janvier 1977, Gérard Depardieu répond aux questions du cinéphile René Michelems qui anime l’émission en alternance avec Sélim Sasson. Depardieu n’a pas 30 ans et il a une belle gueule. « Vous avez commencé à gagner votre vie très jeune, je crois, (…) on dit que vous avez été représentant en savonnettes. » « Oui (…), je travaillais avec deux clodos, un avait sa main coupée… je circulais avec une carte (de représentant), je n’avais pas de carte d’identité (…). Je suis parti de Châteauroux pour voir la mer, à Arcachon. » Depardieu se marre, il a peut-être un peu bu, il a déjà tourné quelques films marquants, 1900, Barocco, La Dernière Femme. Depardieu fume, sourit, caresse sa blondeur. Ça dure huit minutes et c’est trop court.

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Le Clézio en mots

« Jean-Marie Le Clézio, pourquoi cette sorte de peur qui va véritablement jusqu’au désarroi? » Le beau jeune homme se redresse de son siège à même la plage rocailleuse et répond: « Je crois que cela vient du fait que le monde est trop vivant -il se lève, fait face à la caméra et poursuit- quand je regarde autour de moi, je ne vois que des animaux qui veulent se dévorer les uns les autres, des insectes qui veulent dévorer leur proie aussi. » On est en 1966 et la parole du futur Prix Nobel de Littérature résonne curieusement d’une douleur et d’une cruauté actuelles. Cet extrait de 5 minutes et 24 secondes témoigne d’un vrai désir de littérature, filmé en noir et blanc par le réalisateur Jean Antoine qui n’hésitait pas à lire des fragments substantiels de la prose de son interlocuteur, alors âgé de 25 ans à peine. Une façon élégante de mettre -logiquement- les mots au centre de l’image, politesse aiguë ayant largement disparu des écrans contemporains.

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L’Amérique raciale

Eté 1964, le président Lyndon B. Johnson, remplaçant de Kennedy assassiné à l’automne précédent, signe la loi des droits civiques interdisant toute discrimination raciale. Une équipe de l’émission 9.000.000 -le nombre de Belges de l’époque…- est dépêchée à Harlem, épicentre plus que symbolique de la présence afro-américaine. Un type se disant lui-même « extrémiste », raconte qu’il « veut tuer des Blancs », tout en admettant que le combat semble perdu d’avance pour les 22 millions de Noirs face aux 270 millions qui ne le sont pas. Cet été-là, entre came, prostitution et pauvreté flagrantes, la tension est encore montée de quelques degrés quand un flic du coin, blanc bien sûr, a tué un jeune Noir. Ces dix minutes diffusées en septembre 1964 à la RTB (sans F) résonnent évidemment de manière troublante avec l’actualité, laissant penser qu’en un demi-siècle, la barrière raciale nord-américaine tient toujours bon. Impressionnant.

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Le punk expliqué aux enfants

Mai 1978 et la RTB -avec un F depuis quelques mois- pense qu’il est temps d’informer les mineurs sur l’un des grands mystères contemporains, le punk, qui essore quand même les médias internationaux depuis 18 mois. L’intro du reportage d’1,2,3… J’ai vu (sic) colle le Blitzkrieg Bop des Ramones sur des images de l’éphémère Hubble Bubble, 30 secondes de gloire via son chanteur « punk », le futur Plastic Bertrand. « Ils crient encore plus fort parce qu’ils chantent dans les parkings, sans micro, et en s’accompagnant de vieilles guitares (…) les Sex Pistols, le jour où ils ont eu beaucoup de succès et ont gagné beaucoup d’argent, ils se sont arrêtés de faire de la musique. » Le commentaire fantaisiste est contrebalancé par le témoignage face caméra de Bert Bertrand, talentueux journaliste belge d’époque, un peu ridicule en lunettes de soleil Jackie Onassis et pull sac-poubelle, un peu émouvant aussi vu qu’il s’est appliqué le No Future à la lettre, se suicidant à New York en 1983.

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Week-end ou la qualité de la vie

Avant que Strip-Tease ne plonge dès 1984, avec le retentissement que l’on sait, dans les entrailles de la belgitude colorée, l’émission Faits divers piocha largement dans le répertoire anthropologique de notre fascinant pays. L’une des perles incontestables, conjointement réalisées par Jean-Jacques Péché et Pierre Manuel, est ce Week-end daté de 1972 où la caméra suit Michel Demaret quelques jours à la côte belge, et pas à Knokke… Dikke Mich est un peï folklo qui fera carrière au PSC, devenant même bourgmestre de notre belle capitale, avant de casser sa pipe en 2000 à 60 piges. Accent moules-frites et naturalisme noir et blanc décollent grave lorsque le tournage croise l’artiste-peintre Raymond Coumans, qui ferait passer Le Café du Commerce pour Emmanuel Kant. Non seulement l’affaire a enfanté l’esprit Strip-Tease, mais elle a aussi notablement influencé ces irréductibles moqueurs de Snuls et leur fameuse « maxime du week-end ».

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