Critique | Musique

Arno, période bleu-bite

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

En 1972, avec trois potes flamands, l’Ostendais chante du blues cro-magnon entre réminiscences mississippiennes et rock anglais à la free. Réédition.

Arno, période bleu-bite
© DR

Pressé à mille exemplaires lors de sa sortie à l’été 1972, l’album éponyme de Freckle Face est devenu au fil du temps un vinyle rare. Et coûteux: au début des années 90, le disquaire Juke Box (boulevard Anspach) nous prête l’objet alors coté 10 000 FB, 250 euros! Un petit label flamand a donc eu la bonne idée de récupérer les cinq chansons -bouclées le 8 mai 1972 au sous-sol d’un restaurant gantois- et de leur accorder le classique traitement de restauration/remastering contemporain. Alors, même décrassés et digitalisés, ces morceaux sonnent intégralement comme de l’analogique seventies, à la fois dans la facture du mix et la puissance (relative) du son. Ils ont aussi la gueule enfarinée d’un lendemain d’abus de mini-bar, poussés par des ooooouh troglodytes et des tempos lymphatiques. D’autant que le biotope naturel du disque est le blues. Conjugué par quatre Flamands au début des années 70, il sonne diversement selon le chanteur employé -on y arrive- mais intégralement roots. Rien ici n’a la faconde délirante de Captain Beefheart ou l’audace vaudevillesque du Tom Waits qui déboulera bientôt.

Tord-boyaux d’aigus

En 1972, concurrencé par la théâtralité de Bowie et la fulgurance de Roxy Music, le blues américain semble totalement démodé alors que la jeune génération anglaise qui s’en inspire largement triomphe avec Free et, plus encore, Led Zeppelin. Il y a de ces confluences britanniques dans le morceau d’ouverture du disque, longue pâte à pain de treize minutes baptisée If We. Celle-là et deux autres (Mary, When Darkness Fades Away) sont chantées par le bassiste Paul Vandecasteele d’une manière assez peu spectaculaire même si tous les idiomes sont là: voyelles engraissées, rondeur investie des mots, soupirs cadencés. Le guitariste Paul Couter, qui fera la paire avec Arno jusqu’aux débuts de TC Matic, y place de petits solos baveux, interventions « de genre » qui trouvent une meilleure inspiration dans Hold My Hand: là, Couter touche à l’excellence organique d’un Paul Kossof. Peut-être parce que le titre en question, comme le traditionnel Trouble In Mind, est interprété par Arno. La voix qu’on y entend n’a pas grand-chose de commun avec le style connu du désormais sexagénaire: Arno chante comme s’il buvait cul sec du vinaigre lent, poussant les phrases à un tord-boyaux d’aigus qui rappelle Sonny Boy Williamson.

La performance, singulièrement attachante, donne à l’album son véritable caractère, tout en sachant que le jeune Hintjens, 23 piges, n’occupe qu’un tiers des 39 minutes de ce premier et dernier disque de Freckle Face. A d’autres moments, il joue de l’harmonica avec le même sens du blues, burlesque et primitif.

FRECKLE FACE, Freckle Face, Starman Records

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