Laurent Raphaël

Par ici la monnaie…

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

On l’a appris la semaine dernière, après la musique et les livres, My Major Company s’attaque à la BD. Mais pas tout seul. La coopérative 2.0 a embarqué dans l’aventure un poids lourd de l’édition, le groupe Media-Participations, propriétaire des légendaires Dupuis, Lombard et Dargaud. L’information n’a pas provoqué de poussée de fièvre sur les réseaux sociaux ni servi de grain à moudre aux éditorialistes cathodiques. Elle marque pourtant un tournant dans la courte existence du crowdfunding, cette technique de financement participatif qui consiste à transformer monsieur et madame tout-le-monde en producteur d’un film (People for cinema), d’un album, d’un roman ou même d’un jeu vidéo (Digital coproductions).

Tous les secteurs culturels disposent désormais de plateformes de rencontre entre artistes sans le sou et généreux donateurs désireux de contribuer à la naissance d’une oeuvre, avec bonus et éventuellement gains à la clé. Les plus connues comme Akamusic ou My Major Company sortent régulièrement de leur chapeau de nouveaux noms. Même si les perles rares, comme la chanteuse camerounaise Irma, découverte sur MMC, sont plutôt l’exception. Ce n’est pas cracher dans la soupe que d’affirmer qu’elle a souvent un goût fade, les internautes ne faisant rien pour la saler en misant sur des navets comme Grégoire. Bizarrement, la BD, qui en connaît pourtant un rayon en matière de communauté et qui peut en outre compter sur un large réservoir de lecteurs boulimiques -de quoi justifier les 5000 titres qui inondent le marché chaque année!-, s’y est mis tardivement. C’est Sandawe qui a essuyé les plâtres début 2010.

L’arrivée aujourd’hui de la locomotive MMC ne fait pas que combler le retard. La présence de Media-Participations dans l’attelage change la donne. Au-delà du symbole, elle prouve que les acteurs traditionnels ne comptent plus rester au balcon pour assister au massacre. Dans un marché saturé et bousculé par le Net, c’est une question de survie. Des majors de « l’ancien régime » devraient donc suivre le mouvement. Difficile de le leur reprocher.

Alors pourquoi ce mariage nous gêne-t-il aux entournures? Tout simplement parce qu’on a un peu le sentiment que ce système alternatif va surtout servir de pare-choc commercial. Plutôt que d’investir dans un nouvel auteur, quitte à se prendre une gamelle, les grandes enseignes pourraient être tentées de laisser le public faire le tri puisque c’est lui qui tient les cordons de la bourse. On se demande du coup si les lignes éditoriales ne vont pas fluctuer au gré des vents dominants, et surtout si les artistes les plus dérangeants, les plus novateurs ne vont pas systématiquement passer à la trappe. La frilosité est d’ailleurs dans l’air du temps. Sinon comment expliquer que la rentrée a été aussi avare en premiers romans? Ou que les studios américains sucent les blockbusters jusqu’à la moelle avec des suites à n’en plus finir? Bonjour l’audace! Avant de se réjouir de pouvoir jouer les mécènes, on voudra donc s’assurer que les agents culturels ne veulent pas nous faire prendre les vessies du participatif pour les lanternes d’un eldorado créatif…

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