Philippe Cornet

Protest singers

Philippe Cornet Journaliste musique

Des stars anglaises -Blur, Radiohead, Coldplay- veulent influer la revente d’EMI à Universal via une action syndicale. Mais peut-on être multimillionnaire et militant?

La chronique de Philippe Cornet

Depuis maintenant une année, il est beaucoup question du rachat du géant EMI Music par Universal Music Group, premier mondial avec plus d’un tiers du marché planétaire. La somme annoncée, 1,48 milliard d’euros, est faramineuse, le catalogue visé, également, comportant des artistes majeurs du rock anglais tels que Coldplay, Pink Floyd et bien évidemment les Beatles. Sans oublier Blur, dont le membre le moins médiatisé, le batteur Dave Rowntree, vient de relancer publiquement une bataille contre cette fusion dont les issues industrielles -notamment la revente de certains labels pour correspondre aux normes de l’Union Européenne- ne sont pas entièrement limpides. « Les artistes sont les seuls protagonistes de la situation qui ont été laissés en dehors des négociations, ce qui est malheureux », dit le Blur à lunettes. En jeu, le contrôle artistique des carrières mais aussi les considérables implications financières qui accompagnent les mutations de l’industrie du disque.

Libertaires mais pas trop

C’est là que Blur et les autres se retranchent derrière The Feature Artists Coalition, syndicat créé en 2009, initialement pour protéger les droits des musiciens dans les complexes méandres de l’âge digital. Le Conseil d’administration de cette « not-for-profit organization » inclut un aréopage de stars: Dave Rowntree déjà cité, Nick Mason du Floyd, Ed O’Brien de Radiohead, Rumer, des membres de Travis ou encore Annie Lennox. La (semi) vieille garde plutôt que les jeunes poulains. Plus clairement, des gens qui possèdent déjà un patrimoine et qui entendent bien le protéger. Réflexe normal d’auto-défense d’une corporation face à l’appétit dévorant et de plus en plus monopolistique des grands labels qui, dans un avenir peut-être pas si lointain, pourraient bien n’être plus que trois, deux, voire un seul groupe mondial. Universal étant, dans ce cas de figure-là, bien placé pour occuper la première place du podium. Le cas de Radiohead dans cette stratégie qui vise à la fois l’indépendance artistique et monétaire est intéressant dans ses paradoxes. Voilà un groupe qui use de méthodes de marketing et de distribution libertaires, voire « révolutionnaires »: pour rappel, il y a cinq ans, dans un geste de « Fuck you au modèle déclinant de l’industrie » (dixit Thom Yorke), le groupe vendait à « prix libre » son album In Rainbows via le Net avant une classique sortie physique quelques mois plus tard. Aucun chiffre n’est fiable mais on dit que l’opération, sans intermédiaires, fut extrêmement lucrative. Là où on se pose des questions sur le « modèle » économique critiqué par la bande à Yorke, c’est quand Radiohead adopte des habitudes consuméristes semblables à n’importe quelle banale superstar. Il se produit dans des grandes salles caverneuses à l’acoustique parfois délicate -ce 18 octobre au Sportpaleis d’Anvers- et ne s’embarrasse pas de vendre des tickets chers. Entre 40 et 52 euros, frais de service inclus pour la Belgique, jusqu’à 86 euros pour Londres. Syndicalistes, peut-être. Rouges, c’est encore à voir.

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