Critique | Musique

Nuits Bota: Les plages de Sharon Van Etten

Sharon Van Etten © Mike Katzif/Flickr
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Dimanche soir, l’Américaine venait présenter son tout nouvel album aux Nuits Bota, dans l’intimité du Grand Salon. Remuant.

Etrange paradoxe. D’un côté, l’hystérie post-électorale, les premières confirmations sorties des urnes, l’enchaînement des déclarations politiques matamoresques, « un pays, deux démocraties »… De l’autre, la douceur d’une soirée printanière, assis sur les marches du Botanique. Dimanche soir, plus encore que d’habitude, les Nuits Bota avaient des airs d’oasis. Un îlot préservé, qui permettait de se retirer du monde en se réfugiant dans la musique.

Celle de Sharon Van Etten, par exemple, qui venait présenter son tout nouvel album, Are We There, sorti ce week-end. L’Américaine jouait au Grand salon: l’endroit parfait pour ses chansons attrape-coeur, qui prennent si souvent des allures d’incantations amoureuses désespérées. En débutant son set par le nouveau Afraid of Nothing, par exemple, elle balance une torch song à faire fondre le plus blasé des palpitants. On pouvait imaginer que l’intimité du Grand salon allait permettre une configuration musicale plus dépouillée: il n’en fut rien. Tout le groupe est là: les trois mecs – Darren Jessee (batterie), Doug Keith (guitare) et Brad Cook (basse) – et les deux filles, Sharon herself et Heather Woods Broderick, entité qui tient de plus en plus de la sororité, côté à côté sur le devant de la scène, à la recherche de l’harmonie la plus poignante. À deux, trois reprises, la formation monte dans les tours, et corse le propos (la cavalcade de Serpents, la transe de Don’t Do It). Ce n’est cependant pas la couleur dominante. En fait, c’est ce qui séduit le plus ce soir-là: le changement permanent, sinon de couleur, en tout cas de ton. Sur Break Me, les nappes de claviers donnent des nuances quasi cold wave aux colonnes du Grand Salon, tandis qu’avec Tarifa, ou plus encore le single Taking Chances, SVA et son band se transforment plutôt en une formation r’n’b-soul – elle le verbe traînant, presque « sudiste », le groupe lui élastique et groovy dans les couplet, la guitare de Keith tranchant dans les refrains. C’était la première date de la tournée, et il restait probablement encore de réglages à effectuer (la 2e voix trop forte sur Nothing Will Change), un peu d’huile à glisser dans le moteur pour que tout s’enchaîne à la perfection. Pas grave: les quelques temps morts entre les morceaux ont permis de faire baisser la tension – cela faisait longtemps qu’on n’avait plus vu de public si concentré, si attentif, buvant chaque parole. Puis, il ne faut pas deux secondes à Sharon Van Etten pour investir le morceau suivant. C’en est sidérant, comme d’entendre une telle voix, pleine, déterminée, sortir d’un corps-brindille, la bouche à peine ouverte, la frange cachant la moitié du visage.

Il faut attendre les rappels pour que l’Américaine raccroche la mèche rebelle. Là, le visage enfin « découvert », seule derrière son piano, elle se lance dans I Know, avant-dernier morceau d’Are We There. C’est remuant, bouleversant comme on peut l’imaginer d’une chanson-confession qui met ses tripes sur la table: « I know the ancient melodies will come at night/I sing about my fear and love and what it brings ». Elle termine le morceau sonnée, comme apeurée par sa propre audace. Oeil humide, et coeur avec les doigts. Le groupe peut alors la rejoindre pour un dernier titre, Every Time The Sun Comes Up, morceau country tongue-in-cheek. Sharon Van Etten, une larme, un sourire.

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