Storm Thorgerson est décédé: « je voulais devenir réalisateur, j’ai fait les pochettes de Pink Floyd »

© Storm Thorgerson

Le génial graphiste auteur des pochettes de Pink Floyd, Led Zeppelin ou encore Mars Volta et Goose est décédé ce jeudi à l’âge de 69 ans. Nous le rencontrions l’été dernier à l’occasion de son expo au Fort Napoléon.

Expo Storm Thorgerson, du 22 juin au 1er septembre 2012, Fort Napoleon, à Ostende. Infos: www.angels-ghosts.com

De prime abord, le nom ne dit pas forcément grand-chose. Storm Thorgerson (1945, Pottersbar) est pourtant l’auteur de quelques-unes des pochettes les plus mythiques de l’histoire du rock. Dark Side of the Moon de Pink Floyd, c’est lui. L’homme en feu de Wish You Were Here, pareil. Il a créé des visuels pour Led Zeppelin, Peter Gabriel, Black Sabbath ou plus récement Muse (l’artwork de l’album Black Holes and Revelations), Mars Volta ou encore les Belges de Goose… Aujourd’hui, Ostende accueille une exposition consacrée à ses pochettes cultes, organisée au Fort Napoléon par la galerie gantoise A&Gallery.

L’homme, dit-on, a son caractère. Quand on le rencontre, dans le lobby d’un somptueux hôtel, à côté de Sint-Pancras, Thorgerson est pourtant charmant, pratiquant volontiers le détachement so british. Sa carrière, il la débute un peu par hasard. Au milieu des années 60, il est étudiant au Royal College. « Je voulais devenir réalisateur. Mais c’était compliqué à l’époque, à cause des « closed shops »: en gros, pour travailler dans le cinéma, il fallait être syndiqué. Mais pour se syndiquer, il fallait avoir un travail. Pas facile (sourire)… Au final, certaines circonstances ont fait que les Pink Floyd m’ont engagé pour dessiner la pochette de leur 2e album. » Quelles circonstances exactement? « Je les connaissais depuis longtemps. Ils venaient de Cambridge, comme moi. Syd (Barrett, ndlr) était un pote. Ma mère connaissait bien celle de Roger Waters: lui et moi, on a fréquenté les mêmes écoles, joué dans les mêmes équipes de cricket… Pour A Saucerful of Secrets, ils avaient d’abord demandé à un autre de leurs amis. Mais il a préféré décliner, il n’avait pas le temps. A ce moment-là, j’étais justement dans le coin: ils m’ont alors proposé d’essayer. Le résultat était ok, la relation était ok. Le groupe était paresseux, il ne voulait pas se fatiguer à chercher quelqu’un d’autre. Je ne les blâme pas (sourire). Le premier essai n’était pas très bon, le 2e non plus, mais le 3e a commencé à être meilleur. Ils ont compris que cela pouvait fonctionner. La relation était artistiquement et commercialement réussie. Une bonne combinaison. Voilà finalement pourquoi je n’ai jamais fait de film: les circonstances. Ou comment vous appelez ça encore? Le destin(en français dans le texte, ndlr).« 

En l’occurrence, celui-ci a plutôt bien fait les choses. Après plus de 40 ans de collaboration, Storm Thorgerson est toujours impliqué dans l’univers graphique du Floyd -il s’est notamment penché sur les dernières rééditions remasterisées…

Talk to the band!

Multipliant les collaborations, Thorgerson a fini par bâtir une carrière et une iconographie uniques. Dans le grand remue-ménage de la fin des années 60, il a également fondé avec d’autres le collectif de designers et de graphistes Hipgnosis. Le moteur est toujours le même: le rock, toujours le rock, BO du chambardement culturel de l’époque. « Pourquoi cette musique a-t-elle été aussi importante pour moi? Ce n’est pas le cas pour tout le monde? En Angleterre en tout cas, ça l’est. C’est facile de désigner les pires choses dans la vie, tout le monde sera d’accord: la guerre, la maladie… Mais choisir les meilleures, c’est moins clair… Certains diront l’amour. Pour les Français, ce sera la bonne bouffe et le vin. Les Italiens parleront des chaussures et des voitures de sport. Pour les Allemands, le bonheur est un budget en équilibre, une bonne machine (sourire). Mais pour moi?… Je pense que les arbres arrivent très haut dans mon classement. Le rock’n’roll aussi. Ou la musique en général. Cela a toujours été vital. C’était un moyen de s’évader, de se stimuler, de vous éloigner de vos parents… »

Embarqué dans le grand mouvement de libération des sixties, Thorgerson expérimente, tente des choses, avant d’asseoir petit à petit un style propre. Et une certaine philosophie. « D’abord, il est crucial de ne pas parler aux maisons de disque. Discutez directement avec le groupe. Toujours. Les labels n’y connaissent rien. Les managers non plus. Ils n’ont pas besoin de savoir. Les managers les plus avisés ont bien compris qu’ils ne doivent pas s’en mêler. Ce n’est pas leur boulot. Leur travail c’est de planifier les enregistrements, les tournées… Bref, ce qu’on doit faire, mais pas comment le faire. » Thorgerson a aussi pris l’habitude de laisser à ses « clients » le soin de désigner eux-mêmes le montant de ses émoluments. « C’était plus facile comme ça. Et puis, au final, ils nous payaient généralement plus que ce que nous pensions (rires). Mais au fond, je ne pense pas qu’on était très intéressés par l’argent. Ce n’était pas une réelle motivation, pas plus qu’aujourd’hui. On était surtout excités par les images. C’est très gratifiant de réaliser un visuel que les musiciens ne peuvent pas produire eux-mêmes, et qui réussit à traduire leur univers. De la même manière qu’ils ne peuvent pas tous jouer du violoncelle et doivent du coup louer les services d’un violoncelliste s’ils veulent de l’instrument dans leur musique. »

Ceci n’est pas une pochette

Les images de Thorgerson sont reconnaissables entre mille. On les décrit volontiers comme surréalistes: réalisme de la photo d’un côté, collision d’éléments incongrus de l’autre. D’aucuns l’ont même surnommé le Magritte de la pochette rock. Lui-même s’en amuse et joue volontiers avec la référence: dernièrement encore il citait le tableau Le Blanc-Seing pour la pochette d’un groupe de Los Angeles, Whitley Heights. Et en 1978, il sortait un premier bouquin intitulé Walk Away Rene, clin d’oeil à la fois au surréaliste belge et au morceau de The Left Banke. « C’est difficile pour moi de commenter mon travail, sans être trop narcissique ou parano. Je peux le faire, mais c’est très inconfortable… Il se trouve que je me suis lancé dans ce truc, que je n’étais pas trop mauvais. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir peut-être amené quelque chose. J’ai davantage confiance dans mon travail, je commence à maîtriser plus ou moins ce que je fais. Enfin. Après 40 ans, il est temps! Juste au moment où tout le business de la musique s’écroule, où les labels n’ont plus d’argent (rires). »

Le téléchargement a tué le CD. Et les visuels qui vont avec? A quoi bon en effet concevoir une pochette pour une musique qui ne circulera plus que sous la forme d’un fichier mp3? L’air de rien, c’est tout un pan de la culture pop qui est déstabilisé. Qu’en pense l’intéressé? « Pas grand-chose. Cela ne sert à rien de s’engager dans un combat que l’on n’a aucune chance de remporter. Je suis obligé d’accepter ce qui se passe. Si j’aime ça? C’est une autre question. Non, évidemment (rires). C’est marrant: quand j’étais jeune, que j’étais dingue d’un groupe, je ne voulais jamais partager mes disques. Les faire écouter oui, mais je les gardais chez moi. Aujourd’hui, les gamins partagent tout le temps, et c’est chouette aussi. Peu importe au final, je crois qu’il y aura toujours un endroit où pourront se croiser musique et images, musique et design. Le live, par exemple, est devenu énorme. Les groupes auront toujours besoin de visuels pour leurs affiches, flyers, t-shirts… Puis il y a les clips aussi, des films sur le Net… Donc il y aura toujours de la place pour des images. S’il y en aura encore pour des pochettes comme j’en fais depuis 68, par contre… »

Laurent Hoebrechts, à Londres

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