Charleroi-Danses: La danse, le corps, la mémoire

Trisha Brown Dance Company, Watermotor © Lois Greenfield
Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

Temps fort de la scène chorégraphique, la Biennale de Charleroi-Danses affiche quatre Sacre du printemps et accueille la célèbre Trisha Brown Dance Company. Deux événements au milieu des découvertes et des nouvelles créations…

La Biennale donne le tournis, avec 26 chorégraphies en trois semaines dans divers lieux de Charleroi mais aussi à Mons, à Liège et à Bruxelles: le moment de plonger tout entier dans la danse contemporaine. Un domaine où peu se risquent aujourd’hui à épingler des tendances comparables au postmodernisme américain, au Tanztheater allemand, ou à la non-danse française à une autre époque. Aujourd’hui, pas de courant clairement identifié à l’horizon, donc, mais quelques généralités « à la mode », comme le reconnaît -presque à contrecoeur- Vincent Thirion, programmateur de la Biennale: « Oui, on dit que la musique revient, qu’on est dans une danse plus dansée, que le répertoire d’il y a 15-20 ans réapparait. Mais, c’est réducteur car quand je découvre la scène chorégraphique au Maroc, au Brésil ou en Finlande, ces « tendances » ne tiennent plus. »

Evènement du festival, la Biennale affiche un flashback « Trisha Brown », chorégraphe-phare de la danse postmoderne américaine qui, dans les années 70, libéra la danse de sa « virtuosité », travaillant dans « l’éloquence abstraite » avec une danse lancée dans des trajets complexes, des structures mathématiques, des systèmes d’improvisation, des répétitions obsessionnelles et surtout une liberté créative qui n’hésitait pas à investir les toits de New York. Après Merce Cunningham, invité et mort en 2011, Charleroi-Danses programme la dernière tournée de Trisha Brown, fort malade. On découvrira donc une série de pièces des années 70-90, Early Works et Grand Répertoire. « A chaque biennale, explique Vincent Thirion, il est important de mettre en avant l’historicité et la transmission. Certes, on reprogramme le répertoire composé il y plus de 20 ans pour un public qui ne l’a peut-être pas vu. Mais aussi parce que certaines de ces pièces touchent parfois le public plus que les chorégraphies actuelles. » Pas faux.

Sacre du printemps
Sacre du printemps© Valerie Archeno

La fête du « Sacre »

Les oeuvres révolutionnaires se commémorent. Dévoilé à Paris en 1913, Le Sacre du printemps -pièce fondatrice de la danse moderne- a 100 ans. Une musique explosive de Stravinsky et une chorégraphie « païenne » de Nijinski pour les Ballets Russes en font une oeuvre scandaleuse pour l’époque. Depuis lors, 200 chorégraphes s’y sont attaqués, dont les plus célèbres, Béjart et P. Bausch. Béjart et ses danseurs en collants à Bruxelles en 1959 et Pina Bausch avec ses danseurs lancés dans la tourbe en 1975. Le pitch? Un rituel sacral païen, ronde et solo, en deux parties: une adoration à la terre avant le sacrifice d’une jeune fille au « dieu » du Printemps. Quoi de neuf en 2013? Le festival en propose quatre versions « abrégées ». A se demander si Le Sacre n’est pas devenu une « brand »? « Pas du tout, sourit Thirion. Les quatre versions revisitent librement l’oeuvre mais toutes ont un vrai lien avec Le Sacre. David Wampach présente un duo drôle et baroque basé sur le souffle enivrant qui finit par devenir la musique du Sacre. Dominique Brun réinvente avec six interprètes à partir des croquis du Sacre. Cristina Rizzo investit l’oeuvre en solo pour 80 spectateurs qui entendront la musique de Stravinsky dans leurs écouteurs. Un solo jouant de l’écart des perceptions entre la musique et la danse. Chez Laurent Chétouante, le sacrifice s’abat sur l’étranger. Il utilise aussi la musique originelle mais par fragments, aux côtés d’une composition contemporaine. »

Sacre du printemps
Sacre du printemps© Robin Junicke

Retour vers le futur

D’autres chorégraphes regardent dans le rétroviseur: Olga de Soto se penche sur la Table Verte (1932) de K. Jooss. Raimund Hoghe parle d’absence dans Si je meurs laissez le balcon ouvert, au départ d’un hommage au chorégraphe Dominique Bagouet, mort du sida en 1992. Dans Synopsis of a Battle, Etienne Guilloteau et Claire Croizé se croisent à travers le Socrate de Satie. Parfois, il s’agit simplement d’un retour aux racines, comme Claudio Bernardo se penchant sur son passé (Só20), ou Bruce Blanchard remontant en hip hop à ses origines congolaises (UP). « La nostalgie est dans l’air du temps, nuance le programmateur, mais les chorégraphes qui investissent le passé ou l’introspection vont de l’avant, dans une réinvention d’eux-mêmes. »

Parmi les créations sans nostalgie, Histoire de l’imposture, de la Cie Mossoux-Bonté, sur le thème du conformisme et des postures artificielles. Ou Black Milk de Louise Vanneste (primé par le Prix de la Critique), qui déploie une danse lente et raffinée entre deux femmes se mouvant dans une synchronisation décalée sans jamais se regarder, dans une atmosphère en clair-obscur. Hypnotique!

Avec Vincent Thirion, on épinglera aussi des chorégraphies plus « allumées », comme Mind a gap d’Anton Lachky –« des putains de danseurs dans des situations burlesques, sur des airs connus ». Mais aussi Bal en Chine de Caterina Sagna –« rien à voir avec Balanchine mais un « vrai » bal en Chine, prétexte à épingler le rejet de l’étranger ». Ou Minute papillon de Denis Mariotte –« à la Malkovich, il se démultiplie dans un truc assez schizophrène ». Sans oublier d’autres fidélités, de Pierre Droulers à Michèle Anne De Mey ou Cynthia Loemij, Thomas Hauert, Catherine Diverrès… Un festival foisonnant, entre évènements, découvertes et fidélités chorégraphiques.

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