« Comment veux-tu que je conseille un livre que je n’ai pas lu? »

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Philosophe de service du Grand Journal pendant la saison 2011-2012, Ollivier Pourriol en décrit les mécanismes et coulisses dans On/Off. Un livre mordant et décapant uniquement constitué de dialogues. Morceaux choisis et commentaires avertis.

Quelques jours seulement avant que Michel Denisot confirme son départ de l’émission phare Canal Plusienne, le romancier et essayiste Ollivier Pourriol était à Bruxelles, le regard aussi profond que la pensée, pour défendre On/Off, son livre pamphlet. Une plongée drôle, désespérante et pathétique dans le petit monde du Grand Journal (lire la critique). L’ex-chroniqueur raconte.

Au bureau, avec un adjoint du rédacteur en chef

– Ton bouquin, là, il fait 600 pages. Je n’aurai jamais le temps de le lire pour demain.

– Mais tu ne comprends pas. Personne ne te demande de le lire.

– Comment veux-tu que je conseille un livre que je n’ai pas lu?

– Tu peux le respirer, le livre.

« Ce sont des phrases comme celles-là, des « On ne parle pas des poètes morts », des slogans publicitaires, des sortes d’auto-justifications, qui ont fait germer l’idée de On/Off. Je les trouvais vraiment extraordinaires et je ne pouvais les laisser sans postérité. Elles méritaient réparation. Une mise en contexte, un partage. Elles devaient franchir les portes un peu closes de la production et des coulisses de l’émission. Elles sont inoubliables. Puis, elles ont une valeur qui dépasse l’environnement professionnel. Elles ont une valeur littéraire, sociale. Elles disent quelque chose de ce monde-là. Au-delà de mon expérience de chroniqueur éphémère, ça valait la peine de comprendre ce qui structurait ce qu’on regardait. Je n’ai pas pris de notes, contrairement à ce qu’on m’a reproché par la suite. C’est méconnaître le travail littéraire que de le penser, a fortiori quand on est le producteur d’une émission culturelle: un écrivain n’est pas un dictaphone. Il crée une illusion de la vie avec des mots. La simple transcription serait très pauvre face à la réalité. Des phrases réellement prononcées ont structuré le livre. J’ai ensuite entrepris un travail de reconstitution, de création, de montage. De la fiction? Oui et non. Oui parce que j’ai dû façonner. Mais non, tout est vrai. »

Bureau du rédacteur en chef

– Alors, toi, un jour, tu vas écrire un livre pour te venger. Tu parleras du nain qui t’empêchait de faire des citations et de l’abruti qui corrigeait toutes tes phrases.

– Tu vas pas nous rater.

« Le projet du livre, je ne l’avais pas quand je participais à l’émission. Je ne voulais pas m’offrir ce confort d’être à distance de ce que je vivais. C’était assez dur comme ça de me retrouver à la télé devant plus d’un million de personnes. Ce n’est pas mon métier. Au terme de la saison, je me suis dit que je me lancerais si je trouvais une forme littéraire adéquate. Je ne voulais pas d’un document de révélations crapuleuses mais d’un vrai livre. Quand j’ai trouvé cette idée de dialogues anonymes, j’ai essayé et je me suis dit que ça pouvait fonctionner. Cette forme permet de donner le sentiment du document réel et de conserver une distance littéraire. Ce qui compte n’est pas qui a dit quoi mais le fait que les choses aient été dites. J’ai signé mon contrat une fois le bouquin terminé seulement. Les clauses de confidentialité, je ne les ai pas respectées puisque je raconte comment est fabriquée l’émission. Mais je considère que c’est un sujet de société et que c’est le droit du spectateur de savoir. C’est un risque que j’ai posé et l’éditeur aussi. Quand un grand groupe affronte une crise de ce type-là, il se tait et ne bouge pas. Parce que sinon, il amplifie le phénomène et accentue le problème. Un livre, ça sert à inverser le rapport de pouvoir. Si quelqu’un vous menace dans un bureau et que vous vous taisez, ce rapport, vous le subissez. Si vous l’écrivez sur une page publiée, cette menace s’inverse et se retourne contre celui qui la profère. »

Dans l’open space

– Tu as vu le courrier des lecteurs de Télérama? Ils parlent de nous. (…) Une lectrice écrit qu’elle reste sidérée par la nullité des questions posées par les potiches qui tiennent lieu de journalistes.

– Télérama on s’en fout, ils sont jamais contents. Ils font chier. Si on devait ne faire que ce qui plaît à Télérama, on produirait des émissions culturelles pour Arte.

« Au Grand Journal, la question de l’esprit critique ne se pose même pas. C’est une émission d’accueil, une émission de promotion. Il n’y a jamais un point de vue critique sur un film. Ce serait briser le contrat entre les invités et la chaîne. Le pacte passé avec les attachés de presse. Si on fusille un long métrage, on n’aura peut-être plus les stars sur le film d’après, c’est compréhensible. Aller défendre mon bouquin sur le plateau (quelques jours avant la parution de On/Off, Ollivier Pourriol a reçu une invitation à venir en parler sur le plateau du Grand Journal, ndlr) aurait été contradictoire avec le livre. Incohérent. On ne peut pas écrire un livre qui démonte ce système de production, montre ô combien la parole y est infime, résiduelle, que le contenu n’est jamais respecté, et aller y faire sa promotion ensuite. J’avais certes déjà participé à l’émission pour parler d’Eloge du mauvais geste, mon essai sur le football. Il n’y avait pas de contradiction. Mais surtout, cette fois, c’était présenté comme une obligation: en tant qu’ancien chroniqueur, ils considéraient que je leur devais l’exclusivité et la primauté. Et en tant qu’employé de Canal, parce que je suis encore dans l’émission de cinéma Le Cercle, je leur devais une forme de solidarité d’employé envers son employeur. Puisque c’était présenté comme une injonction, assortie de pressions sur l’éditeur -ils ont menacé de ne plus inviter les auteurs Robert Laffont, ce qu’ils ont effectivement fait depuis- il était de mon devoir, je pense, de ne pas y aller. »

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