Myriam Leroy

À vot’ bon coeur

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

Le financement participatif d’oeuvres artistiques séduit tous les pans de la culture. Mais se prend quelquefois les pieds dans le tapis, comme pour l’Eurovision.

La chronique de Myriam Leroy Quand, au sens propre, un chanteur se jette dans le public et le laisse porter par la foule, on appelle ça du « crowd surfing ». Au sens figuré, c’est du « crowdsourcing », ou financement participatif de projets artistiques. Un procédé de production communautaire qui s’est d’abord attaqué à la musique (Grégoire, le poulain de My Major Company -écurie du fils Goldman-, beugle ainsi sur un million de disques vendus) pour essaimer ensuite auprès de toutes les disciplines artistiques, et même journalistiques, sportives et… scientifiques.

Considéré par le grand public et les créateurs de contenus et d’oeuvres comme plutôt sympa, le système de production par « parts » dans lequel les internautes sont censés recevoir les fruits de leurs investissements donnera ainsi naissance fin février à la première BD de la « maison d’édition » communautaire belge en ligne Sandawe. Que Justice soit (mal) faite!, bébé de 2 anciens de Spirou, met en scène une avocate véreuse, Maître Corbaque, sur un mode satirique. Des expos, docus, billets d’avion d’artistes invités (!) et autres jeux vidéos peuvent également (et notamment) se matérialiser via la plateforme de la « maison de créativité » KissKissBankBank. Le réalisateur belge Christophe Lamot y a déjà récolté 1680 euros sur un objectif de 2500 euros pour Evidemment!, un projet de websérie bien barré -il ne lui reste plus que quelques jours pour compléter la mise.

Bide et musique Alors, le « crowdsourcing », c’est la panacée, le remède aux maux de l’industrie culturelle, la rustine sur la poche trouée des mécènes? Pas vraiment. D’abord parce que les plateformes de financement collectif se conservent généralement de juteuses prérogatives. Ensuite parce que la production participative éloigne les éditeurs (journaux, maisons de disques, d’édition…) de leurs responsabilités. Qui comprennent quand même, jusqu’à révolution du système, un certain devoir d’investissement (humain et financier) sous peine de ne devenir que des robinets à diffusion de produits low cost.

Enfin parce que la combine communautaire a ses effets pervers et ses failles dans lesquelles certains s’engouffrent allégrement. Un exemple? L’Eurovision, souvent confrontée en Belgique à des scores aussi plats que le pays. La RTBF, qui prend en charge la sélection du candidat belge cette année, a donc décidé de s’en remettre au verdict des internautes. Lesquels ont pu investir via Akamusic sur une série de chanteurs et groupes qui étaient assurés d’une place en finale (belge) dès qu’ils atteignaient les 20 000 euros de « dons ». Au bout du compte, certains se sont financés eux-mêmes, et parmi les 30 qui avaient amassé suffisamment d’argent au 7 janvier -la date de dévoilement des « vainqueurs »-, la plupart font peine à entendre, et même à voir. Entre un vieux Johnny de Kermesse, une diva de friterie, un gogo chanteur de club échangiste et quelques piliers de karaoké. Un énorme flop. Qui rappelle que parfois, le suffrage populaire (comme on a pu le lire à l’occasion de l’élection d’une Miss Belgique qui a douillé des milliers d’euros en cartes prépayées pour faire voter ses proches par SMS), est la pire des dictatures.

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