Patti Smith raconte Bob Dylan

Bob Dylan et Patti Smith © DR

Bob Dylan a été l’idole de Patti Smith, l’homme qui l’a convaincue de remonter sur scène, en 1995, l’immense songwriter avec lequel elle a partagé le micro et les idéaux. À l’occasion de la remise de la Légion d’honneur au musicien, Patti Smith nous parle de son ami.

Une image qui vous vient à l’esprit en pensant à Bob Dylan?

Un mélange d’urgence, de beauté et d’énergie. Dylan a toujours représenté à mes yeux le rock’n’roll. Je n’ai jamais pensé à lui comme à un folk singer, un poète ou autre… Je le trouvais l’homme le plus sexy du monde depuis Elvis Presley… Sexy dans le cerveau, vous comprenez? La sensualité à son plus haut niveau se remarque chez les êtres « illuminés », et c’était le cas de Bob. Il était le Roi. Et il l’est toujours. Je ne suis pas certaine qu’il ait encore fait exploser tout son pouvoir…

Quel est le premier album que vous avez écouté de Dylan ?

Another Side of Bob Dylan. J’étais malade, dans mon lit, chez moi dans le New Jersey, et ma mère m’a offert ce disque. Elle m’a dit: « Je ne connais pas ce chanteur, mais c’est le genre de mec que tu aimes. » A cette époque, j’étais obsédée par Rimbaud. J’imaginais Rimbaud comme une sorte de « boyfriend » dans mes rêves. Quand on a 17 ans et que l’on ne peut pas être avec le garçon avec qui on souhaiterait, on se crée des fantasmes. Bob Dylan était inaccessible, mais vivant… Je pouvais rêver de lui.

Quand l’avez-vous vu sur scène pour la première fois?

En 1964. J’étais allée voir Joan Baez en concert et il se produisait avec elle. Ils avaient chanté en duo One Too Many Mornings, l’une de mes chansons préférées de Dylan. Sa voix était étrange, presque dérangeante… Géniale. Elle résonnait comme une moto roulant à travers un champ de blé.

Patti Smith choisit des chansons et raconte l’histoire de Bob Dylan, lors d’un programme radio

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A partir de quel moment Dylan a-t-il inspiré votre musique ?

Dès le premier jour où j’ai pris un instrument en main. J’avais acheté une guitare Martin avec l’argent que j’avais épargné en travaillant. Je ne savais absolument pas l’accorder et je ne comprenais pas pourquoi mes accords ne sonnaient pas comme ceux de mon recueil de chansons de Bob Dylan. Ensuite, j’ai rencontré Sam Shepard [Ecrivain et réalisateur qui a reçu le Prix Pulitzer] et il m’a appris à jouer. Il m’a offert une Gibson noire des années 1930, le même genre de guitare qu’avait Robert Johnson. Je reprenais les chansons de Dylan, mais ça ne sonnait toujours pas comme lui.

Quand avez-vous rencontré Bob Dylan pour la première fois?

A New York, en juin 1975, dans les coulisses du club the Bitter End, où je me produisais. Je n’avais pas encore sorti de disques. Bob était déjà une star. Quelqu’un m’a dit qu’il était dans le public. Mon coeur battait fort. J’ai dit deux ou trois choses sur scène des messages cryptés pour lui faire comprendre que je savais qu’il était là. Il est venu me voir dans les coulisses: un véritable geste de gentleman. Il avait une énergie et une aura extraordinaires. J’étais tellement émue. Il tournait autour de moi; je tournais autour de lui. On aurait dit deux pittbulls. J’ai eu une montée d’adrénaline. Et mon côté rebelle a pris le dessus. Il m’a dit « Y a-t-il des poètes dans les parages? » Et j’ai répondu: « Je n’aime plus la poésie! » Je me suis comportée comme un voyou… J’ai cru qu’il n’allait plus jamais me parler.

Patti Smith reprend Changing the Guards de Bob Dylan

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Et il vous a reparlé…

Le lendemain, la couverture du magazine The Village Voice a mis en couverture une photo de Dylan me serrant dans ses bras. Mon rêve devenait réalité. J’ai revu Bob quelques jours plus tard: je marchais sur la 4th Street et je l’ai aperçu. Il avait les mains dans les poches. Il s’est approché et a sorti la photo de Village Voice, puis m’a lancé: « Qui sont ces deux-là? Tu les connais? » Il m’a souri et j’ai su que tout allait bien entre nous. A cette époque, il réfléchissait à une idée qui se serait concrétisée dans son Rolling Thunder Tour. Il m’a invitée à le joindre. Mais ça ne s’est pas fait. On s’est croisé beaucoup de fois: chez Allen Ginsberg, à Greenwich Village. Dans des bars, où nous avons parfois joué ensemble.

Vous parliez beaucoup avec lui?

Non, il n’y en avait pas besoin. Je lui parlais dans ma tête depuis tellement d’années… J’avais l’impression que la conversation entre nous se faisait de façon télépathique. Nous étions « channeled », comme je l’ai été avec Robert Mapplethorpe ou William Burroughs… C’est une forme de communication, de canalisation…

Bob détestait que je lui fasse des compliments, qu’on le flatte en général. Il préférait me dire ce qu’il appréciait dans mon travail… Il m’aidait à avancer et aimait que je m’inspire de lui. Il n’était pas jaloux ni possessif concernant ses chansons.

Patti Smith se cache derrière une photo de Bob Dylan
Patti Smith se cache derrière une photo de Bob Dylan© Judy Linn

En 1979, vous avez quitté la scène pour endosser un nouveau rôle: épouse et mère de famille… C’est Bob Dylan qui vous a décidé à revenir, en 1995!

Et lui en serai toujours reconnaissante. Pendant seize ans, j’ai vécu un conte de fées avec mon mari, le guitariste Fred « Sonic » Smith. Nous sommes partis habiter dans un trou perdu du Michigan. Je faisais le ménage, la lessive… Ma vie n’avait jamais été aussi punk. J’ai appris à cuisiner et nous avons eu deux enfants, Jackson et Jesse. Je n’ai jamais regretté mon choix. J’étais heureuse. En 1994, Fred est mort, il avait 44 ans. Je n’avais plus envie de rien. Cette année-là, Bob m’a demandé de l’accompagner en tournée. Je ne voulais pas, mais il a tellement insisté! C’est quelqu’un de très introverti, mais pourtant il a passé des heures à me parler et à me convaincre… Il disait que je n’avais pas le droit de foutre en l’air mon talent et que les gens avaient besoin de mon énergie. Il m’a proposé de choisir tous les morceaux que nous interpréterions ensemble. Comment refuser? Nous avons chanté tous les soirs, pendant plusieurs mois, côte à côte, dans le même micro.

Lors de cette tournée avec Dylan, en 1995, vous avez chanté en duo sa chanson Dark Eyes…

J’aimais cette chanson qui me rappelle les poèmes de John Milton et de William Blake. J’ai souvent commencé mes concerts par une reprise de ce morceau, comme par la lecture de Dog Dream (Dylan’s Dog), un poème qui est né d’un rêve sur Bob que j’ai fait en simultanée avec Sam Shepard, une nuit, au Chelsea Hotel de New York. Nous avons rêvé de Bob avec son chien… [Patti Smith l’a écrit en avril 1971. On peut lire le poème en entier dans son livre, Seventh Heaven.] Bob a composé des chansons d’amour magnifiques: Boots of Spanish Leather (1964), Nettie Moore(2006)… Je les reprends très souvent. Sa guitare acoustique sur son album World Gone Wrong, mon préféré de Bob, est l’une des plus belles choses que j’ai jamais entendue.

Patti Smith déclame son poème dédié à Dylan

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Enviez-vous quelque chose à Bob Dylan?

J’ai joué à être Dylan. Il suffit de me voir sur cette photo prise par Judy Linn dans les années 1970. Je cache mon visage derrière une image de Bob… Non, je ne lui envie rien. Il m’a encouragée à me frayer une place dans le rock… Il possède un magnétisme incroyable… Mais nous n’avons pas la même façon d’être sur scène. J’interagis avec le public, je suis très directe; Bob est plus concentré sur la musique. Il ne répète jamais un morceau de la même façon: il cherche toujours une nouvelle voie… Comme Allen Ginsberg, un ami que nous avions en commun.

Paola Genone

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