Rituels du samedi soir & microclubbing boulodrome

Dézinguer la City Parade, atomiser la Zinneke? Incapable de survivre au buzz de la Gay Pride, notre chroniqueur a plutôt choisi de parler d’un bouquin et de microclubbing. Serez-vous là aussi 855 à le recommander sur Facebook? Sortie de route, track 31.

Cela fait un moment que je n’ai pas revu la Fièvre du samedi soir mais dans mon souvenir, cela reste un film qui vaut bien plus que les clichés qui lui collent depuis 35 ans à la pellicule. Il faut faire abstraction des scies de la bande sonore et des cabrioles plutôt comiques de John Travolta. On y trouve alors une certaine valeur documentaire, une pertinence, comme un goût de vérité blafarde. Saturday Night Fever n’est pas qu’une ode au disco en même temps qu’un hold-up commercial sur une culture jusque là plutôt underground. C’est aussi un film qui pose les bonnes questions sur l’aliénation au plaisir, aux modes et aux loisirs; qui entend montrer comment l’humain lambda accepte bien souvent de se faire broyer par la société tant qu’il lui reste permis de trouver refuge dans les rêves de Prisunic.

Le scénario est à l’origine tiré d’une nouvelle de Nick Cohn, publiée en 1976 par le New-York Magazine. Elle a pour titre Rituels tribaux du samedi soir et vient seulement, il y a quelques semaines, d’être traduite en français chez Folio. De l’aveu même de l’auteur, la réalité de ce qui passa à l’époque pour un reportage de terrain est largement pipeautée. Cohn a rendu le dossier plus sexy, comme dirait plus tard Tony Blair. Rockeur britannique fraîchement exilé aux États-Unis, il n’entravait que pouic à la culture disco et en cador de la pirouette, il a de fait plaqué sur ce contexte new-yorkais seventies qui lui échappait totalement des souvenirs de ce qu’il avait observé à Londres durant les années 60, parmi les Mods. L’escroquerie n’a rien de sympathique mais en gros malin, Nick Cohn a tout de même réussi à farcir son reportage bidon de l’essence même d’une certaine vérité.

Rituels tribaux raconte une poignée de samedis soirs dans la vie d’une bande de jeunes filous, poseurs finis, prolos, les kékés d’une boîte miteuse qu’ils sont les seuls à fantasmer temple de la branchitude. Ils ne possèdent rien, sinon « quatorze chemises à fleurs, cinq costumes, huit paires de chaussures, trois pardessus » mais sont néanmoins persuadés de faire partie de l’élite de la nuit, « une infime minorité, peut-être deux sur cent, qui savait comment se fringuer et comment bouger, comment flotter et comment voler. L’élégance, la grâce, une certaine distinction dans chaque geste. Et une étrange intuition pour accomplir ce qui était juste, au-delà des mots, une vérité qu’ils ressentaient tous, au fond, dans leur sang. » Pathétique, angoissé et « misérable subalterne de la société », le personnage central est considéré par les siens comme « un seigneur médiéval », sévère, solennel, qui exerce une autorité naturelle sur le reste de la bande. À même pas 20 ans, il se sent pourtant déjà vieux et présage justement que ce qu’il vit ne durera pas, que sa seule option de survie, c’est de se ranger. En 1976, Nick Cohn n’a donc rien compris au disco mais a finement saisi que pour une majorité de gens, le nightclubbing, c’est ça et pas grand-chose de plus: un rituel tribal. Une expérience à vivre, entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte, au crépuscule de l’irresponsabilité. Côtoyer la grâce et le minable avant de très vite revenir sur le droit chemin, afin de s’intégrer à la normalité. Se fabriquer une conduite, fonder une famille, construire un avenir et un patrimoine. Le film se termine sur une note similaire, il me semble.

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Je referme le bouquin un samedi soir qui n’a rien de très fiévreux, juste avant de filer rejoindre quelques amis qui organisent une soirée de microclubbing dans une cave mérulée des Marolles: un ordinateur, une table de mix, 40 personnes. Tous ont la trentaine, parfois un peu plus, des postes à responsabilités, des salaires très convenables. Des couples, des célibataires, des gays, des hétéros. Des propriétaires, des locataires. Il n’y a là pas grand-monde qui recherche l’aventure, la drogue, le sexe et pour la plupart, nous sommes à peine mieux sapés que pour sortir les poubelles. Nous partageons en fait juste un simple moment de détente, pratiquons une forme de nightclubbing qui tient nettement plus de l’après-midi au boulodrome que du rituel tribal. Nous dansons n’importe comment sur n’importe quoi. Cela n’a rien de très Tony Manero (Travolta dans Saturday Night Fever!) et personne n’irait ici prétendre faire partie de l’élite de la nuit. C’est une soirée sans enjeu, sans pression, sans une once de glamour. C’est très bien comme ça, reposant, et plutôt normal aussi, dans ce contexte. Nous avons tous une riche vie et une personnalité affirmée en dehors du dancefloor et ne ressentons donc aucun besoin de mirifier ce qu’il s’y passe. Sur le chemin, j’ai croisé des ambianceurs de Matongé sapés comme dans un clip de Jay-Z, des ploucs de bars à champagne, du pedzouille pop de Nuit Botanique et de ce genre de tocard glamour-trash qui me fait toujours penser à Patsy dans Absolutly Fabulous. Eux, tous, descendaient vraiment de Tony Manero. Nerveux, sombres, crispés sous leurs allures faussement cool, il était manifeste qu’ils se trimballent à chaque virée un trac équivalent à celui d’un comédien avant une représentation importante. Les mots de Nick Cohn encore en tête, j’ai trouvé ça touchant. Mais triste. Couillon, aussi. L’aliénation, toujours.

Serge Coosemans

Nick Cohn: Rituels tribaux du samedi soir et autres histoires américaines, Folio 5386, mars 2012

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