Isao Takahata, l’autre maître de l’animation japonaise

Le Conte de la princesse Kaguya de Isao Takahata © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

À 78 ans, le grand maître de l’animation japonaise, cofondateur du studio Ghibli avec Hayao Miyazaki, signe un pur chef-d’oeuvre avec son adaptation du Conte du coupeur de bambous, oeuvre classique inscrite dans l’inconscient nippon.

Isao Takahata a pris l’habitude de laisser le temps au temps: quinze ans se sont ainsi écoulés entre ses deux derniers films, Mes voisins les Yamada, sorti au siècle dernier, et Le Conte de la princesse Kaguya, que l’on peut découvrir ces jours-ci sur les écrans. A 78 ans, le réalisateur japonais signe là un chef-d’oeuvre définitif, venu rappeler, si besoin en était, qu’il campe, aux côtés d’un Hayao Miyazaki avec qui il fondait le studio Ghibli en 1985, l’autre géant de l’animation nippone.

Pour ce retour aux affaires, Takahata s’est tourné vers un récit inscrit dans l’inconscient japonais, Le Conte du coupeur de bambous, dont on pense qu’il a été écrit à la fin du IXe siècle. « C’est le premier récit de ce genre dans l’Histoire du Japon et il est très respecté, commence-t-il, alors qu’on le retrouve dans un hôtel parisien pour un entretien sévèrement minuté. Il s’est ensuite transmis, jusqu’à faire l’objet, à la fin du XIXe siècle, d’une adaptation en livre illustré à destination des enfants. Personne, au Japon, n’en ignore les épisodes ni les motifs. Et pourtant, c’est une histoire dont, même si on en connaît les ressorts, on ne se souvient guère, parce qu’on ne la comprend pas réellement. Elle est étonnante, avec une dimension fantastique déroutante, et si certaines de ses images sont frappantes, ses enjeux sont quelque peu inintelligibles. » En cause en particulier, les zones d’ombre entourant, dans la fable d’origine, les raisons qui conduisent la princesse Kaguya à s’aventurer de la Lune à la Terre, motivations incertaines qui ont dans un premier temps fait l’objet de toute l’attention du réalisateur. Lequel s’est employé à redéployer le conte, en veillant toutefois à lui préserver sa part de mystère. « Quand j’ai commencé à réfléchir à une adaptation, j’ai cherché une approche pour gérer au mieux les enjeux du récit afin de le rendre plus intéressant. Une fois parvenu à un traitement, j’en ai fait part aux producteurs, sans avoir l’intention de réaliser ce film moi-même… » Deux projets avortés plus loin, Takahata se ravisera, consacrant quatre ans à la réalisation du Conte de la princesse Kaguya, pour notre plus grand bonheur de spectateurs…

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Stimuler l’imagination

Takahata, qui ne dessine pas lui-même, adopte, pour chacun de ses films, un style visuel distinct. Celui, de toute beauté, de ce nouvel opus fait appel au dessin au fusain et à l’aquarelle. « J’ai, depuis très longtemps, un goût tout particulier pour les dessins réalisés au pinceau avec cette rapidité du geste. La vitesse d’exécution et la légèreté du mouvement engendrent une beauté particulière. Et j’ai toujours été sensible au tracé au crayon des dessins d’animation, même si le processus technique du report sur cellulo tendait à les uniformiser au détriment de la vie. Conjugué au concours, au sein de l’équipe, d’artistes travaillant dans cette ligne graphique, avec cette liberté et cette énergie du trait, le développement des ordinateurs nous a toutefois permis de surmonter cet écueil, et de conserver à l’écran l’élan de départ du tracé. Les dessins portés par cet élan -on peut aussi parler d’esquisses, ou de croquis- possèdent une force de suggestion et la capacité de stimuler l’imagination du spectateur. Ils ont aussi la propriété de nous renvoyer à nos souvenirs, et à notre propre expérience, avec une sensation de présence très forte: en assumant leur caractère de dessins, ils suggèrent la réalité qu’ils reflètent de manière très vive. » Le rendu à l’écran est tout simplement confondant, pour un film qui, adoptant une ligne épurée n’étant pas sans évoquer celle… de Ernest et Célestine, trouve une richesse d’expression peu banale, semblant littéralement irradier de cette vie qu’il célèbre; ce n’est certes pas pour rien que « Kaguya » se traduit par « lumière rayonnante ».

Conte fantastique, La princesse Kaguya est aussi une fable philosophique, en effet, quoique Isao Takahata fasse voeu de modestie. « Je n’ai pas d’ambition de haute volée, sourit-il. Mon message est très simple: je trouve important, étant donné qu’on a reçu vie en ce monde, que chacun puisse donner son plein éclat à l’élan vital qui lui a été octroyé. Mon souhait est celui-là: que dans le temps qui nous est imparti dans ce monde, nous puissions vivre pleinement notre vie. » Si l’on s’en voudrait d’en déflorer ici toute la richesse, il y a là, encore, un questionnement sur la précarité de toute chose, délicatement inscrit dans une perspective cosmique. C’est presque naturellement, dès lors, que la singulière aventure de la princesse Kaguya se voile aussi de mélancolie diffuse.

Le Conte de la princesse Kayuga
Le Conte de la princesse Kayuga© DR

Profession de foi d’un épicurien

Le rapprochement avec Le Vent se lève, de Hayao Miyazaki, est bien sûr tentant; à croire, ne leur en déplaise, que ces deux-là semblent devoir rester indissociables jusque dans ce qui est présenté comme leur dernier film respectif. Un constat que Isao Takahata accueille d’une moue dubitative: « Il n’y a pas de lien de causalité. J’ai travaillé sur mon film sans avoir la moindre connaissance de ce que faisait Mr Miyazaki, et il a tourné le sien sans rien savoir de ce que je faisais de mon côté. Il n’y a ni lien de causalité, ni rapport entre ces deux projets », précise-t-il, à toutes fins utiles. Avant de conclure: « Il n’y avait absolument pas d’intentions mélancoliques dans mon film, ce qui n’empêche pas qu’il ait cette tonalité. Peut-être est-ce lié à notre époque, et au temps présent au Japon. Je ne sais pas si c’est l’air du temps, mais il règne une sorte de pessimisme, et on a le sentiment que l’avenir se présente de manière bien sombre. Mais en ce qui me concerne, je n’ai pas du tout envisagé le film sous cet angle. Je ne me reconnais pas du tout, par exemple, dans la vague de films très noirs qu’a connue le cinéma français des années 36-37 aux années 40. Ce que j’essaye de faire avec ce film est très différent de l’atmosphère très sombre telle qu’elle a pu transparaître de la production française de l’immédiat avant-guerre. Personnellement, je suis plutôt un épicurien: tous les bienfaits de la vie, le plus petit rayon de soleil, et jusqu’à la plus petite chose, j’y trouve joie et bonheur. »

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