Vendredi dubi, samedi blanche nuit

De l’underground à la nuit blanche, en passant par le champagne et Sharko, Guillermo Guiz s’aventure comme chaque week-end là où il fait nuit. Night in, Night out, épisode 4.

Ca commence vendredi. Cimetière d’Ixelles, dans un coin lounge. N’envie pas trop mon classieux destin, cela dit. Parce que c’est le coin lounge du Quick. « Ton Giant (extra long) en fin de soirée tu mangeras, sinon l’oignon toute la soirée tu sentiras », disait Gandhi, qui aurait tué mère et père pour un bon mot. Trop tard. Vendredi soir… Le ciel a la rage. Salement. Genre le mec qui crie: « On est en Belgique, t’as compris? T’as compris??? » Ma mèche prend l’eau. Terrifiant. L’idée, c’est de faire une soirée grand-écart. A la JCVD. Passer de l’underground à l’overground, du stress aux strass, du manque de shampoing aux giclées de champagne.

Premier bivouac? Le Steel Gate, rue des Chartreux, pour la Belgian Alternative New Generation Party (BANG, avec un poing levé comme symbole graphique)… 1) Y’a alternatif dans le titre. 2) Jamais entendu parler des DJ. 3) La dernière fois que j’ai écrit sur le Steel Gate, littéralement « la Porte d’Acier », c’était pour des soirées gothiques. 4) Parfait! Jamais mis un rein dans cette boîte en fait. Depuis le plan gothique, je me balade avec un pieu et une gousse d’ail quand je passe rue des Chartreux. Gothiques et vampires, c’est pas pareil? M’en fous, j’ai peur.

A noter: la direction artistique des lieux vient d’être reprise par l’asbl « Le Circuit électronique », qui essaye de doper les synergies entre acteurs de l’electro bruxelloise. Lesquels jouent, il est vrai, trop souvent leur partition en solo. Déception ou soulagement à l’intérieur? Aucun monstre sanguinaire en vue. Juste une petite boîte assez sombre aux plafonds bas, pleine de miroirs et de faisceaux laser verts giga-insistants: j’évite de justesse la crise d’épilepsie pour dire qu’en fait, c’est pas si terrible que ça une soirée underground. Disons que quand tu commandes un Redbull, tu reçois un Redbull. Comme au Colruyt. Brut quoi… Sans verre. Peu importe en fait, tout le monde boit de la bière au gobelet dans les soirées underground. Et les mecs ont des baskets de skaters, des casquettes de skaters, des sweets à capuches et puis leurs tee-shirts blancs résonnent fluos avec la lumière. A l’ancienne…

J’arrive vers 1h, en pleine transition dubstep. Etonnant le dubstep, je connaissais mal. Bob Marley et R2D2 sont dans un bateau, s’ennuient, et font de la musique: c’est du dubstep. Ca se danse comme de la capoeira pompette. Les quarante p’tits noceurs ont l’air de pas mal s’éclater. Mais le dubstep, après cinq morceaux, c’est comme le boudin de Noël, faut aimer… En sortant, le portier, un mec surgominé à l’origine indéterminable, m’alpague: « Prends ma carte, c’est moi qui organise les soirées Bollywood à Bruxelles. » Dingue non?

Sur la route du Spirito Martini (rue de Stassart à Ixelles), j’ai un sale goût dans la bouche. Déprimé? Trop seul? Non. Je me suis trompé chez le Paki, j’ai acheté des chewing-gums dégueus à la réglisse. Faut toujours avoir l’haleine fraîche dans les sauteries overground. Et ici, j’en tiens une belle: le nouveau temple bling-bling de la capitale accueille la soirée Dom Pérignon. Au niveau esthétique, le Spirito Martini claque. Brutalement. Superbe, rien à dire, rien de comparable à Bruxelles.

Mais l’élégante nef de cette église désacralisée réserve son lot de surprises, dès l’entrée: 2 euros pour le vestiaire. Comme si ton manteau partait clubber avec ses copains manteaux, sur leurs cintres en or… Ben non, c’est juste le Spirito, la boîte aux voisins récalcitrants, celle qui ouvre puis ferme, rouvre puis referme encore. Et qui rérouvre là, en l’occurrence. « Mais à chaque fois qu’on rouvre, c’est rempli. Il faut bien souligner que le Spirito est un club, pas une boîte de nuit: ici, les gens peuvent se parler, danser est secondaire », me confie l’un des patrons, avant de gentiment m’offrir une coupette. Ce qui vaut bien un mensonge: j’adore le Spirito Martini, surtout pour son intégrité musicale.

Surélevé, perché haut-là-haut, l’insubmersible Simon Le Saint cachetonne sans vergogne. Le plus tout-terrain des DJ bruxellois me fait un signe, suivi d’un mail: « Simon c’est comme les Gremlins, il faut jamais donner à boire après minuit ». Sinon il se multiplie! Pire, il bouge très fort son corps sur Boum Boum Pow de Black Eyed Peas. Grillé!!!!!

Je me tape en VIP, avec des joueurs de poker aux portefeuilles plein d’hormones: il est passé 2 heures et 11 cadavres de Dom Pérignon Vintage décorent négligemment la table basse. On aime grave les bulles dans les soirées overground. Surtout quand elles coûtent cher. Encore plus si le serveur, costard et noeud pap’, allume les feux de Bengale pour signaler le couteux achat. Ahh oui, aussi: dans les soirées overground, les filles dansent les bras en l’air, cigarette dans la main gauche, coupe de champ’ dans l’autre (essaye, tu peux le faire!), et Simon a emmené son CD du Carré. Beyonce, Fatman Scoop et même l'(im)pitoyable Akon avant des enchaînements improbables sur Michael, Van Halen, Europe ou Blondie: du petit lait pour la go-go qui danse à l’étage, toute mouillée dans l’ancienne vasque à boules de l’émission Motus (Mo-Mo-Motus). Dans les soirées overground, y’a David Antoine et Jean-Michel Zecca. Et là, tout est dit.

Samedi, c’est blanche nuit

Amie, ami, reviens dans dix lignes si tu n’aimes pas l’auto-promo. Parce qu’il est 20h, au K-Nal (Non, je n’ai pas d’action au K-Nal!) et qu’An Pierlé, suivie de Sharko, s’apprêtent à essuyer les plâtres d’un nouveau concept bien de chez nous. Le « Focus Club » alignera mensuellement les showcases pour invités bien triés dans ce qui deviendra un rendez-vous musical croisé, flamand/francophone. Parce qu’à Focus, on est comme ça, we houden van Belgïe. Et même si le pays se barre vraiment en noix de pécan, on pourra toujours se la jouer en invitant des artistes étrangers! Comme Will Tura…

Bon, il est presque 20h30, An Pierlé s’installe sur son gros ballon pour lancer dans l’arène sa magnifique voix de cristal. Une question me chipote: mais où est donc Tatiana « je-n’en-peux-plus-je-suis-perdu » Silva, qui avait été invitée??? J’avais mis mon costume du dimanche juste pour elle. On me dit dans l’oreillette qu’elle a trampoline. Déception. J’écoute An avec désespoir, puis le concert bricolo et sautillant de Sharko avec la larme qui sèche. Besoin de respirer.

Ca tombe bien, parce que Bruxelles bouillonne en plein air. C’est la Nuit Blanche. Mais oui, ce fameux concept qu’on dirait le nouvel an. Place Sainctelette, en sortant du K-Nal, une battle de breakers s’adosse à l’espace funambule: l’Ecole du Cirque se donne en spectacle avec des traversées sur fil du canal… Un peu plus loin, rue de Laeken, je me planque dans un rez-de-chaussée réaménagé, pour une performance: l’artiste nous place dans un carré délimité par des voiles de tissu noir qui, hissés haut, plongent l’assistance dans une obscurité feinte. La nuit se fait… Puis retombe d’un coup. Fascinant. Ou pas. « C’est tout? »

Le centre-ville est en ébullition. Des animations partout, des performances, des concerts, des installations, des DJ-sets… Et surtout des gens, plein de gens, des montagnes de gens, des océans de gens et probablement une flopée de Jean aussi: ça grouille, ça se marche un peu sur les pieds. Trop de plans tue le plan, me répétait jadis un ami séducteur. A force de vouloir montrer tout, on ne montre rien.

En plus, j’ai rejoint les faux seins d’une jolie potesse blonde. Grosse erreur. Essaye de lâcher des seins en plastique en plein Bruxelles, paradis des apprentis chacals… « Pssssssttt, la blonde!!! Viens, je dois te dire… Hey, la blonde!! » Officiel: le centre de la capitale n’a pas été imaginé pour les blondes repoitrinées. Erreur aussi parce qu’elle a un peu envie de nager dans les stéréotypes: « Tu as déjà fait toutes les attractions? », me demande-t-elle. M’enfin, chouchou!

Je finis par m’écrouler, épuisé, sur une terrasse des Halles Saint-Gery. La place est blindée massacre, les baffles gigotent sur du Johnny Cash, Elvis, Stones, Beatles, Nancy Sinatra, Mamas & Papas, le tout dans une vraie bonne ambiance de communion qui fait plaisir. Joli instantané d’une ville qui se souvient, une fois par an, qu’après minuit, tous les chats ne sont pas au lit… J’attends très longtemps dans les toilettes du Zebra. Après 32 minutes d’agonie, une nana sort enfin, me laissant envisager la plus soulageante perspective de ma soirée. Perplexité: gorgée d’un liquide vaguement aquatique, la planche des WC semble issue du casting de Trainspotting. Deux options: soit la nana est un nono (bien crasseux), soit son nez tout reniflant signifie que la nuit, pour certaines, sera effectivement blanche. Et farineuse.

Pour moi, elle sera demi-molle, désolé. Crevé comme un pneu tout clouté, j’arrive devant le Théâtre National. Découragement. Les beats de la soirée Rewind se frayent un chemin jusqu’à l’extérieur : une centaine de kids débordent de partout, ça s’entasse, ça crie, des bouteilles se brisent, les trajectoires sont titubantes et Rewind, malgré sa réputation electroïde plutôt sérieuse, ce sera sans moi.

Marcher au hasard, seul dans la nuit. Et tomber sur le Punjab Club, dont j’ignorais totalement l’existence. Des soirées Bollywood à Bruxelles, des chewing-gums pourrax chez le Paki et puis maintenant le Punjab Club… Si c’était ça, le fil de mon week-end blanc? Rideau.

Guillermo Guiz

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