Laurent Raphaël

Vers l’infini et au-delà

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Le mystère de la Création s’est invité sur la Croisette cette année. Et on ne parle pas ici de l’énigme Lars Von Trier, homme double face chez qui le meilleur (son film Melancholia, unanimement salué) côtoie le pi(t)re (ses dérapages verbaux et son attitude d’ado pré-pubère). Non, on fait référence à la Création en C majeur, celle qui nous écrase de son poids cosmique et habite toute chose, de la colonie de fourmis à la valse des galaxies. Une habituée du festival. Et du palmarès.

L’an passé déjà, avec Uncle Boonmee et Des hommes et des dieux, le sacré, le deuil et le doute faisaient souffler un air pastoral sur les serviettes de plage. En mode païen pour le premier, en version biblique et lit de souffrance pour le second. Mais là où l’insoutenable légèreté de l’être se nichait dans le silence d’un monastère en sursis ou dans le gazouillis d’une jungle peuplée d’âmes velues, le voyage mystique a pris cette fois-ci des allures de big bang visuel. Dans ce concert de grandes orgues existentielles, The Tree of Life décroche largement… la palme.

Fresque panthéiste hors normes, le film choral de Malick illustre le bras de fer entre la nature humaine, corruptrice et violente, et la grâce divine, tout miel et réconfort. S’il a eu la main lourde pour le sermon, convoquant notamment des images grandiloquentes de lave en fusion, le réalisateur fantôme n’en plante pas moins une cathédrale vertigineuse dans la rétine du spectateur. A défaut de lui faire virer sa cuti spirituelle… De la musique de chambre intimiste, on est donc passés à l’orchestre au complet avec bataillon de cuivres et régiment de cordes. Comme si l’angoisse était montée d’un cran, nécessitant des images plus démonstratives, et un propos plus appuyé.

Cette quête de sens traverse en filigrane une bonne partie de la sélection cannoise. Avec tantôt des accents apocalyptiques comme chez Von Trier, qui regarde ce qui se passe à minuit moins 5, et tantôt des notes d’espoir comme chez les Dardenne, traquant la grandeur dans l’infiniment petit des gestes quotidiens. Qu’on décèle la main de dieu ou du hasard dans l’architecture de l’univers, cette crise mystique répond au désordre ambiant.

Car si l’âge du capitaine peut expliquer que certains vieux briscards de la pellicule cherchent à tenir la mort en respect (comme l’a fait récemment Clint Eastwood avec Au-delà), le climat général de fin de règne (écologique, social, économique…) participe aussi de cette aventure mystique. De même que c’est au pied du mur qu’on voit le maçon, c’est au pied du calvaire qu’on voit le Créateur. Même si celui-ci n’appartient pas forcément à une chapelle en particulier, quand il ne roule pas carrément pour la chapelle des agnostiques. Finalement, dans le mystère de la Création, c’est plus le mystère que la Création qui fascine les artistes…

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