Laurent Raphaël

Vol qualifié

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Ainsi donc, Beyoncé Knowles, reine du r’n’b, a été prise la main dans le sac de la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker. Rappel des faits: à peine le temps d’affoler la machine à buzz que le nouveau clip de la star américaine, qui sert de bande images au single Countdown, intrigue les amateurs de danse contemporaine. Ils y reconnaissent des phrases entières de Rosas danst rosas, spectacle de notre compatriote monté il y a 30 ans mais resté dans les mémoires grâce au film qu’en avait tiré le réalisateur Thierry De Mey. Circonstance aggravante, la panthère n’aurait pas seulement mis la main sur quelques mouvements, elle aurait aussi copier-coller les costumes, le décor et les mimiques. La réaction à ce vol à l’étalage ne s’est pas fait attendre.

Dans un communiqué, ATDK livre son point de vue. Sans colère ni hystérie. Plutôt avec humour et esprit. Le lendemain, madame Jay-Z reconnaît le délit mais minimise: après tout, elle fait de la pub pour la compagnie. Une position teintée d’arrogance qui ne résistera sans doute pas devant un tribunal. Aux dernières nouvelles, les avocats ont d’ailleurs pris le relais. Et comme on suppose que Beyoncé n’a pas envie de passer l’hiver à Bruxelles pour assister à un procès, le différent se règlera plus que probablement à l’amiable, c’est-à-dire avec un gros chèque.

A bien y regarder, le clip multiplie les « hommages ». Michel Jackson, Janelle Monae (qui elle-même n’est pas la dernière à « citer » le roi de la pop), Bardot ou Funny Face avec Audrey Hepburn (ces 2 derniers assumés) font également partie du larcin. Produit de la culture mash-up, le clip Countdown ressemble en fait à un patchwork dont chaque pièce est un fragment d’une oeuvre emblématique. Comme dans un remix.

Cette nouvelle affaire souffle sur les braises encore chaudes du cas Joseph Macé-Scaron. Des lecteurs attentifs de L’Express avaient identifié quelques « emprunts » dans son dernier roman, Ticket d’entrée. Au fil des relectures, il s’est avéré que le directeur adjoint de Marianne, rebaptisé entretemps « Macé-scanner », trempait depuis des années sa plume dans l’encre des autres. On peut avoir 2 lectures de ces bidouillages. La première, qui s’en tient à la loi et à la morale, condamne tout simplement cette pratique. Au nom du sacro-saint droit d’auteur. La seconde, plus pop, y voit un geste esthétique, une forme de recyclage légitime s’il est pertinent. Autrement dit, si la copie est mieux que l’original.

Dans une société qui a élevé le piratage culturel au rang de principe, la citation à l’oeil et non créditée tend à se banaliser. Ce n’est pas légal pour autant mais la tentation est inscrite dans les gènes du Net, cette caverne d’Ali Baba laissée sans surveillance. Les emprunts sont tellement évidents chez Beyoncé qu’elle n’a sans doute même pas pensé franchir la ligne rouge. Comme tous les jeunes, elle s’est dit, puisque c’est sur le Net, c’est donc open source. De notre côté, outre qu’il faut mâcher 7 fois ses mots avant de les écrire, on retiendra surtout la leçon de la fable de la panthère et du cygne: sans avant-garde, pas de culture mainstream. C’est son plancton, son engrais. Merci Beyoncé de nous l’avoir rappelé.

PS: on reçoit à l’instant un mail de Charleroi Danses. Objet: d’étranges coïncidences entre la pièce pour mains et doigts Kiss & Cry du couple Michèle Anne De Mey-Jaco Van Dormael et une pub de Chanel… La chasse aux plagiaires est ouverte!

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