Turquie: le Pacha est nu, les artistes portent la révolte

Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

Quand la police charge violemment les manifestants alors que les télés passent un docu sur les pingouins, le choc est pour le peuple, qui découvre son ras-le-bol. Les artistes aussi…

Dans la ruelle, assis par terre, le groupe Kardes Türküler a mis en musique l’arrogance de Tayyip Erdogan qui se moqua des manifestants « en casseroles ». Ils répliquent à l’orientale et percus… de casseroles: « c’est bon, on en a marre, on te le jure… Quel orgueil, quel colère, la noble Istanbul est misérable avec ce gaz et sa tristesse. » Quant au célèbre groupe grunge DUMAN (Fumée, en turc), il poste sur la toile Eyvallah: « Merci mec, pour ton gaz au poivre, tes coups de matraque et coups de pied, merci! On est libres, si tu crois qu’on va laisser tomber! La place est à nous, le pays aussi. » Plus d’un million vues sur YouTube pour ces deux protest song.

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Y a pas photo, la Turquie bascule. La peur, c’est fini. On y a rarement vu une parole si (massivement) ouverte de son peuple et pas sûr qu’il écrasera de sitôt. Sibel Dinçer, chanteuse-musicienne née à Istanbul, installée à Bruxelles confirme « franchement, je suis tombée sur le cul de voir une si belle résistance, face à un gouvernement et un Premier ministre qui fait des lois à sa tête. Du n’importe quoi, comme l’interdiction de s’embrasser dans le métro, l’interdiction de la vente d’alcool entre 22h et 6h! On va aller jusqu’où comme ça? J’ai été choquée par la violence mais aussi, fière de mon peuple que je croyais obéissant et « mouton ». Pour l’instant, je suis les évènements sur Internet, je traduis des infos. La création d’une chanson? Plus tard. On verra. »

Danseur « masque à gaz » & RebellionTown

Moult artistes sont sur le pont, sur les réseaux sociaux ou à Istanbul. Le metteur en scène (d’Anvers) Mesut Arslan -en tournée avec Ghost d’Abattoir Fermé à Garajistanbul, « la » scène alternative à deux pas de Taksim- se trouve en pleine manifestation, presque lyrique de messages, il nous répond: « je suis ici parce que je ne me sens pas seul dans ce système capitaliste, avec ces gens. Au début, c’était un arbre, c’est devenu une forêt. »

L’écrivain (de Liège) Kenan Görgün envoie d’Istanbul, sur Facebook, ses chroniques (en français et turc) RebellionTown. Il nous confirme « Oui, je prépare un livre, Rebellion Park, mais d’abord, faut vivre ce qu’il y a à vivre. » Quant au danseur Ziya Azazi (attendu aux Halles le 16/6), le derviche contemporain raffiné s’est glissé parmi les manifestants, où il tournoie le geste soufi, portant au visage un… masque à gaz!

La violence a repris à Istanbul. Significatif de l’homme politique? Lundi, le Premier ministre annonçait vouloir rencontrer -ce mercredi- les manifestants. Pourtant, mardi matin, place Taksim, les flics ont chargé à nouveau les manifestants, toujours avec la même violence. De quoi renforcer… la rébellion. Faudrait pas oublier toutefois qu’elle se poursuit à Ankara. Pourtant, depuis le début, c’est toujours İstanbul qui cristallise tous les regards, même dans les réseaux sociaux avec Gezi, le parc d’où tout est parti.

Autre activiste stambouliote: Babylon, la célèbre salle de concert propose -comme d’autres- son lieu aux manifestants (gazés de lacrymogène-à-gogo) et poste sur sa page les soutiens prestigieux de Patti Smith et Massive Attack. Ça compte pour cette jeunesse mobilisée pour la première fois en « Indignados » des moeurs. Des jeunes qui partagent un morceau de circonstance du groupe de ska ATHENA qui, entre deux concerts, a envoyé son soutien par le biais de son tube de 2009: Durmaz Insan Hayvan Olunca / L’individu ne s’arrête plus quand il devient animal, démarrant en force d’un « ferme ta gueule, désormais arrête de me dire ce que je dois faire… »

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Zone libre, zone d’utopie

On l’aura compris, la toile est le lieu de l’info. Ici, les hackers turcs –RedHack– dont le slogan est « Hak yersen, Hack Yersin/Celui qui bouffe du peuple, bouffera du Hack(er). » Ces activistes signalent notamment et quasi en continu les lieux de rendez-vous des manifestant dans toute la Turquie.

Zone libre et zone d’utopie: l’adrénaline est palpable et communicative. La jeune traductrice (de Bruxelles) Canan Marasligil, en résidence à Londres, traduit dans l’urgence les messages des révoltés, ou encore écrit ses chroniques (de traductrice), analysant les mots qui s’inventent (çapulcu/chapulling, TOMA, etc.), mais aussi le tour des cartoons turcs comme Bayan Yani, Girgir… Des éclairages périphériques à lire sur www.freewordonline.com.

À un an des élections municipales et présidentielles, le réveil tombe à pic? Il rappelle les dérives autoritaires d’un Premier ministre, despote grisé par le pouvoir, posé sur la scène internationale en « nouveau leader du Moyen-Orient ». L’arbre cache la forêt: des dizaines de journalistes emprisonnés, des élus et des artistes accusés de blasphème comme le pianiste Fazil Say, l’écrivain Sevan Nisanyan… ou encore The Soft Machine de William Burroughs coupable de « propager l’obscénité ».

Certains sont déçus d’une prise de parole a minima et « soft » des écrivains « people » comme Orhan Pamuk et Elif Safak ou du réalisateur – en tournage au Liban – Fatih Akin (Gegen die Wand).

Mon raki sur le Bosphore

D’autres artistes sont clairement actifs (et suivis sur les réseaux sociaux) comme le réalisateur et plasticien Kutlug Ataman, l’auteure et journaliste Ece Temelkuran, l’acteur Okan Bayülgen. Quant à l’écrivain franco-turc Nedim Gürsel, il écrit dans Le Monde une belle lettre ouverte au Premier ministre turc: « Je veux siroter mon raki sur le Bosphore, monsieur Erdogan!… La jeunesse, tout comme la société civile, qui manifestent à Istanbul et dans une cinquantaine de villes de Turquie, n’ont pas besoin de vous pour savoir ce qu’elles doivent manger et boire. Vous ne pouvez pas non plus construire à la place Taksim, un des symboles de la République, une caserne ottomane, même transformée en centre commercial. Même si vous ne dégagez pas, comme je le souhaite, essayez au moins de « dégazer » la jeunesse de notre pays que vous vouliez, selon vos propres termes, « obéissante et conservatrice ». Je constate aujourd’hui que ce n’est pas le cas et je m’en réjouis. » Aujourd’hui, le Pacha est nu, pour le meilleur et pour le pire. La tournure des évènements est incertaine, coincée dans un bras de fer, même si certains manifestants offrent des fleurs aux flics, que circule Chapulling in Peace version Imagine de John Lennon, « chapulling » étant la fameuse récupération « à l’anglaise » de la célèbre insulte « çapulçu/vandale » lancée à leur adresse par leur Premier ministre…

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Enfin, au rayon arts plastiques: si le musée Modern Istanbul est silencieux (sur son site et sa page Facebook), notons qu’en septembre prochain démarrera la 13e édition de la Biennale d’art contemporain d’Istanbul, intitulée « Maman, suis-je barbare? ». Une édition prévue (de longue date) sous le signe de… « l’espace public comme forme politique »! Chez nous, en Belgique, on sera curieux de l’Europalia 2015 spécial Turquie car on le sent déjà ici, chaque révolte imprègne ses artistes…

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