Rencontre avec Elmore Leonard, maître du polar

Elmore Leonard © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le romancier et scénariste américain Elmore Leonard est mort mardi dans sa maison de Detroit (Michigan) à l’âge de 87 ans. Nous le rencontrions il y a deux ans, à l’occasion de l’adaptation de ses romans à la série télé Justified.

Elmore Leonard, maître du polar US, est un habitué des adaptations. Un art en soi, presque un métier, qu’il manie en conscience et avec son habituelle coolitude.

Lorsque Elmore Leonard se met à écrire dans les années 50 des pulps et des westerns, c’est déjà dans le but avoué de les voir adaptés: « c’était ça qui ramenait de l’argent, plus que les livres. » Depuis, presque toute sa production est devenue film, téléfilm ou série, lui-même y étant associé de près ou de très loin. De passage à Londres pour la promotion de la série Justified, sorte de western contemporain dans le Kentucky profond, l’octogénaire toujours gaillard livre quelques-uns des secrets de ses succès, autres que littéraires.

Graham Yost, le créateur de Justified a eu ces mots: « Quand Peter Jackson adapte Le Seigneur des Anneaux, c’est parce qu’il a adoré Le Seigneur des Anneaux. Mais quand un cinéaste adapte un livre de Elmore Leonard, c’est parce qu’il adore Leonard! ». Comment expliquez-vous cette distinction et l’attrait que vous générez auprès du cinéma et de la télé?

Les dialogues, chez moi, sont très importants. Tout se construit souvent, d’abord, sur des dialogues, donc sur des ressorts qui ne coûtent pas chers à produire. Le dialogue décrit le personnage, ce qu’il est au plus profond de lui. Moi, je ne suis pas dans mes livres. Vous n’y trouverez jamais un mot de ma part. Je ne suis pas un auteur littéraire. J’essaie également d’être réaliste, crédible, j’aime les personnages normaux, mais qui font des erreurs. Les criminels par exemple sont pour la plupart stupides, c’est pour ça qu’ils finissent en taule. Et puis je suis coulant: côté adaptations, une fois qu’ils m’ont payé, ils font ce qu’ils veulent, ça fait partie du deal.

Ils ne se privent pas: on ne garde souvent que vos personnages, parfois votre style, plutôt que vos histoires à proprement parler.

Dans le cas d’une série comme Justified, c’est assez logique. Graham Yost a découvert le personnage et l’univers dans une nouvelle. On évolue ici dans l’Amérique profonde, une Amérique démunie, ça semblait original, histoire de ne pas faire un « cop show » ou une série en hôpital de plus. Et moi, je peux écrire autant que je veux sur Raylan Givens, le personnage principal, c’est mon genre de gars, je le comprends. Un homme de loi, qui fait les choses à sa manière. Ça parle au lecteur, au spectateur. On aimerait faire comme lui. Sur cette base, ils peuvent prendre ce qu’ils veulent pour construire la série. Les personnages s’ils les aiment, les histoires si elles leur plaisent. Je commence toujours de mon côté, et ils prennent ce qu’ils veulent, c’est parfait.

Par contre, vous refusez depuis longtemps d’écrire directement des scénarios originaux…

Je ne fais plus de scénario depuis 1993 exactement. Ça ne me procurait plus aucune joie, pas d’amusement. J’adaptais mes propres histoires, avec des gens qui me disaient ce qu’il fallait changer! Quand j’écris un livre, je fais ce que je veux, je suis totalement libre. Après, ça m’échappe et je suis content comme ça. Mon éditeur aussi.

Sur Justified, vous êtes pourtant crédité comme producteur exécutif…

C’est une question d’argent. On leur donne le matériel, alors ils veulent vous donner autre chose. Ici, je touche 25 000 dollars par épisode, c’est cool! Mais je n’aime pas bosser pour rien, j’ai le sentiment de devoir en faire plus. Alors je viens parfois me mettre dans un coin, je réponds à leurs questions, j’ai écrit un autre bouquin avec Raylan qu’ils pouvaient utiliser…

Vous reste-t-il un polar qui n’a pas encore été adapté, mais que vous rêvez de voir sur grand écran?

Pour la plupart, je m’en fous un peu… Mais Cuba Libre (édité chez Rivages en 2000 sous le titre Viva Cuba Libre, ndlr), je veux vraiment le voir en film! Un cow-boy d’Arizona qui débarque dans le Cuba de 1898, en pleine guerre d’Indépendance. Il faut le budget…

Elmore Leonard revient pour Focus sur ce que sont devenues certaines de ses histoires sombres sur petit et grand écran. Des tops au flop.

Justified, un modèle d’adaptation

– Le personnage de Raylan Givens, héros de Justified apparaît d’abord dans le roman Pronto, en 93, adapté une première fois dans un téléfilm oublié de tous. Raylan apparaît ensuite dans 2 nouvelles.

– C’est dans l’une d’elles que Graham Yost découvre le personnage et décide d’en faire un héros de série. L’épisode pilote sera directement inspiré de la nouvelle (reprise dans le recueil Quand les femmes sortent pour danser), mais la série s’en écarte pour la suite. Ils ne gardent que le personnage, et « l’esprit Leonard ». Sur le plateau, tous les scénaristes portent un brassard « WWED »: « What Would Elmore Do ».

– Pour nourrir les scénaristes à l’heure de la deuxième saison, Léonard écrit presque sur commande un nouveau roman, Raylan, mettant en scène Raylan Givens dans 3 intrigues parallèles. Les scénaristes s’en sont servis pour nourrir librement les scénarios de la deuxième saison, et probablement la troisième, fraîchement signée. Raylan paraîtra prochainement chez Rivages.

Ses tops

Hors d’Atteinte, de Steven Soderbergh (tiré de Loin des Yeux, ndlr). « J’ai beaucoup aimé, ils ont saisi l’essence, l’esprit du livre. Et puis j’aime bien Clooney. J’ai écrit un deuxième bouquin exprès avec le personnage de Jack Foley (Road Dogs, chez Rivages, ndlr), en pensant à lui, persuadé qu’il en referait un film. Mais il est sorti il y a plus d’un an et il ne l’a même pas encore lu! Je crois qu’il se pense trop vieux. »

Jackie Brown, de Quentin Tarantino (tiré de Rhum Punch, ndlr). « Une des meilleures adaptations je pense, vraiment un bon film. J’étais dans une bonne veine à ce moment-là, avec le Get Shorty de Sonnenfeld. Ils ont compris l’importance des dialogues, les personnages. »

Son flop

Be Cool de F. Gary Gray. « Une catastrophe, une vraie catastrophe. Le même personnage et de nouveau Travolta, comme dans Get Shorty, mais sans rien comprendre ce coup-ci. Je leur avais dit pourtant: quand Travolta sort un truc marrant, il ne faut surtout pas que les autres personnages sourient, réagissent ou se marrent! Le personnage, lui, est très sérieux! C’est au spectateur de trouver ça drôle! Une catastrophe… »

Rencontre Olivier Van Vaerenbergh, à Londres

JUSTIFIED, SAISON 1. LE SAMEDI À 20H45 SUR BE SÉRIES.

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