The Two Faces of January: Viggo Mortensen pile et face

Viggo Mortensen dans The Two Faces of January © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

L’acteur américain laisse parler son charisme et sa prestance dans The Two Faces of January, film noir comme l’on n’en fait plus guère, adapté de Patricia Highsmith par Hossein Amini, le scénariste de Drive. Rencontre.

Hossein Amini, le réalisateur de The Two Faces of January, raconte avoir modifié le personnage de Chester MacFarland une fois confirmé l’engagement de Viggo Mortensen, histoire de capitaliser sur sa prestance -ce « quelque chose de Gatsby » qui émane de l’acteur américain. Il y a de cela, en effet, alors qu’on retrouve ce dernier dans une suite d’un grand hôtel berlinois. Le Aragorn du Seigneur des Anneaux, le « Man » dans The Road, s’est mué en homme du monde, en effet, qui accueille d’un sourire et d’une poignée de main engageants, avant de s’enquérir auprès de son visiteur, et en français encore bien, s’il désire du thé ou du café. S’il n’y avait l’improbable T-shirt de football -une autre de ses passions; l’entretien se conclura sur un « Bonne chance » dans la perspective de la Coupe du monde-, l’illusion serait parfaite, qui nous renverrait dans l’univers, délicieusement suranné, du film.

A l’instar du Plein soleil de René Clément qu’il rappelle parfois, ou encore de L’inconnu du Nord-Express d’Alfred Hitchcock, The Two Faces of January est adapté d’un roman de Patricia Highsmith. Se déroulant en Grèce, en 1962, l’intrigue met en scène les MacFarland, un couple américain à l’aisance ostensible et trouble, qui se retrouve bientôt plongé, en compagnie de Rydal, un jeune compatriote officiant comme guide, dans un tourbillon d’intrigues sous hautes tensions. En évoque-t-on la qualité classique, pour ainsi dire, que le comédien embraie aussitôt: « J’aime les bons films de cette époque, et ce genre, le film noir. En particulier ceux qui ne vous assomment pas de références, littéraires, ou mythologiques dans ce cas, ni de dialogues. mais procèdent plus subtilement. J’avais rencontré Hossein Amini en 2010, et il était évident qu’il voulait tourner ce film de manière élégante, sans appuyer le trait, mais en se fiant à l’intelligence du spectateur. Je lui ai donné mon accord, et je n’ai jamais eu à le regretter. »

Modèle de retenue et de classe, la mise en scène balade le spectateur dans un labyrinthe de sensations, mais aussi de souvenirs, plus ou moins diffus, ceux d’une époque si proche et si lointaine, déjà, où les étoiles du drapeau américain semblaient scintiller jusque dans le ciel d’une partie de l’Europe. « C’était l’un des aspects amusants avec lequel jouer, opine Viggo Mortensen. Il y a eu une longue période, après-guerre, où il y avait en Europe une bienveillance à l’égard des Américains qui n’existe plus sous cette forme. Les Américains, et la moitié du monde avec eux, croyaient en cette notion d’exceptionnalisme américain. C’en est fini aujourd’hui, et c’est beaucoup plus sain, même s’il se trouvera toujours l’un ou l’autre politicien conservateur comme John McCain pour s’en réclamer, chose ridicule. (…) Mais pour l’essentiel, ces idées sont révolues. Cette période est intéressante: quand on découvre les MacFarland pour la première fois, on dirait une version blonde de John et Jackie Kennedy: c’est un couple gatsbyesque, au sommet d’une colline. » Le plan est objectivement magnifique, qui porte toutefois en lui la promesse d’un destin contrarié, manière aussi de signifier que la vision idyllique a fatalement son revers, constat ouvrant sur de multiples lectures et extrapolations. Pour s’imprégner du cadre du film, Mortensen s’est replongé dans la mythologie classique. A quoi il a ajouté des bandes super 8 amateures tournées à l’époque en Grèce, des photos, mais encore des films, mauvais ou mineurs au besoin. « Pendant longtemps, avant que la télévision ne prenne le dessus, les gens cherchaient leurs références au cinéma, bien plus qu’au théâtre ou dans les romans. Les films ont forgé la culture, et ont modelé la perception de la culture américaine à l’étranger, comme celle des étrangers par les Américains, légitimement ou non. Il est toujours utile de s’y replonger quand on doit interpréter un personnage évoluant dans la période courant des années 40 aux années 60… »

Sortir de sa zone de confort

A chaque rôle sa méthode, pour un acteur notoirement investi -le genre à fondre un peu plus encore pour avoir le physique décharné requis par The Road, de John Hillcoat; à ajouter le russe à sa palette d’idiomes pour jouer dans Eastern Promises, de David Cronenberg; ou à renoncer à tout confort pour rejoindre le cinéaste argentin Lisandro Alonso au plus profond de la pampa et y tourner La Jauja, film ascétique présenté il y a quelques semaines à Cannes, à Un Certain Regard. Une entreprise « sans le moindre budget », sourit-il, mais qu’il qualifie aussi comme l’une des « plus gratifiantes de sa carrière ». Aussi, et bien que l’expression soit désormais à la mode, quand il vous dit ne rien aimer plus que sortir de sa zone de confort, on sait que ce n’est pas par coquetterie. « C’est fondamental, j’y veille à chaque film, quitte à le regretter dans un premier temps. Je passe toujours par une phase où je crains de me ridiculiser, et de sacrifier mon plaisir, faute de pouvoir maîtriser les choses. Mais ce malaise se dissipe une fois que j’ai trouvé mes marques. C’est la seule façon d’apprendre. A mesure que l’on vieillit, nos opinions et notre vision se rétrécissent, on est enclin à ne plus prendre de risques. Mais j’y vois le moyen de rester ouvert. Mes choix d’acteur m’aident à évoluer non seulement en tant qu’artiste, mais aussi en tant que personne, et à demeurer réceptif… »

Après avoir joué dans Loin des hommes, adapté de L’Hôte, de Camus, par le cinéaste français David Oelhoffen, cette disposition pourrait l’amener prochainement derrière la caméra, un espoir qu’il caresse depuis longtemps déjà. Mortensen s’est ainsi lancé dans l’adaptation de The Horsecatcher, un roman de Mari Sandoz (l’auteure de Cheyenne Autumn). Soit, dans l’Amérique du XIXe siècle, l’histoire d’un jeune Indien refusant de verser le sang mais confronté à l’obligation de tuer un membre d’une autre tribu en guise de rite de passage. « Pour moi, il pourrait aussi bien s’agir d’un gamin évoluant dans n’importe quelle ville du monde aujourd’hui, et subissant des pressions pour céder à la violence ou prendre des drogues. Le propre de l’art à mes yeux, c’est que plus on est spécifique, plus une histoire peut se révéler universelle. Reste à voir si je réussirai à trouver un financement… »

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