Bruxelles, waar ploutocraten thuis zijn

Il paraît que Bruxelles va devenir « chiante »… Quoi qu’il en soit, comme chaque lundi, Serge Coosemans chronique la nuit. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées… Sortie de route, track 28.

Il paraît que dans 10, 20, 30 ans, Bruxelles va devenir « chiante ». C’est Frédéric Nicolay qui l’a prophétisé dans Le Soir Immo, jeudi dernier. Selon cet entrepreneur dont le nom reste associé -à tort ou à raison- aux standards de pas mal de bars de la capitale, Bruxelles manque d’audace et, « quand tout sera fait, tout sera rénové, on n’y fera plus rien. Ca va ronronner. » C’est son avis, son sentiment personnel, et il n’a aucune prétention d’expertise. Frédéric Nicolay prédit une ville « chiante » comme d’autres imaginent Bruxelles devenir la capitale du premier califat islamo-gauchiste d’Europe et d’autres encore la Jérusalem flamoutche de la république NVA. Ce sont des impressions, des théories, des fantasmes, du pur suçage de pouce, et rien de tout cela ne résistera au réel, par essence, foncièrement imprévisible.

Bien sûr, Bruxelles ne sera sans doute jamais une ville sensationelle. Son présent et son histoire ne préparent pas un tel avenir. Horeca, police, STIB, bureaucratie, rois du béton et politique locale rivalisent à tellement haut niveau de mesquinerie dans l’art de se foutre de la balle du monde qu’il n’y a en fait pas de raisons que demain soit pire ou mieux que hier. Qui n’est pas très différent d’aujourd’hui. Bruxelles, waar ploutocraten thuis zijn.

Malgré tout, je me permets de penser que l’on n’est pas si mal lottis entre les tours désamiantées et les rôtis de poneys, les quartiers de mémés et ceux de sauvageons, l’inculture et l’incivisme crasseux et les petits arrangements minables. Ce n’est pas Berlin, Istanbul ou Barcelone mais pas non plus Namur, Angers ou l’un de ces trous de province britannique où, à 20 heures pétantes, on entend souffler le blizzard dans des rues qui bien que notoirement désertes sont paradoxalement placées sous télésurveillance. La nuit tout comme en journée, quand on sait quels parcours suivre, avec qui s’acquoquiner, dans quels undergrounds s’inviter, où s’informer, Bruxelles serait même carrément moins « chiante » que Londres ou Paris; cités trop chères, trop conformistes, trop pleines, trop fières de leurs passés et trop fliquées. Ronronner, Bruxelles l’a toujours fait. Mais dès que les regards impatients se détournent, elle pisse sur les rideaux, griffe les meubles et égorge les souris. Pour le savoir, il faut se montrer malin, être au taquet, sortir des sentiers balisés. Au fond, c’est en perdant le contact avec ces univers des possibles que l’on commence à vraiment se faire « chier » en ville. Tout simplement.

De toutes façons dans la vie, moi, je suis comme Lars Von Trier. J’estime que le décor est moins important que ce qu’y amènent les gens. Leurs vies, leurs histoires. Bien sûr, il y a des décors plus propices que d’autres aux belles histoires mais, partout, dans le Bruxelles de 2042 comme dans un bar de Frédéric Nicolay, si on ne veut pas se faire « chier », il faut y mettre du sien, se donner, provoquer les choses plutôt que les attendre. Ce qui peut rendre une ville vraiment « chiante », ce ne sont pas les gens, ni le décor, ce sont les pouvoirs; de ces alliances véreuses entre promoteurs, spéculateurs et politiciens qui peuvent littéralement délabrer une vie nocturne, raser des quartiers colorés pour les remplacer par des appartements impersonnels à digicodes compliqués. Un ordre moral réactionnaire, une grenouille de bénitier qui se pique de vertu publique, des sacs à magouilles. Voilà les réelles capacités de nuisance. Jouer avec la peur et la morale et interdire aux gens de se réunir, de se rencontrer, de danser, de boire, de se promener ou de travailler en dehors des heures de « vrai » travail. Cela s’est vu et cela se verra sans doute encore. A Bruxelles comme ailleurs. Tant qu’il restera du monde pour critiquer, rigoler et au besoin s’insurger là contre, ça va toutefois je pense être dur de vraiment se faire « chier ». Dans le pire des cas, l’Espagne n’est qu’à deux heures de vol.

Serge Coosemans

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