Critique | Musique

Patti Smith – Banga

© Beni Köhler

ROCK | Banga renoue avec le rock’n’roll rimbaldien des années 70 de la garçonne new-yorkaise. L’âge et les nombreux fantômes en plus.

PATTI SMITH, BANGA, DISTRIBUÉ PAR SONY MUSIC. ****

« Pas trop de vieux en quelques semaines? » La question, sarcastiquement glissée par un aimable collègue, notifiait qu’entre les sorties Beach Boys, Neil Young, la présente Patti et les imminents Bobby Womack et Bowie (réédition Ziggy Stardust), ces reviews évoquaient dangereusement le cimetière des morts-vivants célèbres. Alors la jeunesse d’une musique dépend-elle des artères de ses géniteurs? Pas si on croit que l’intransigeant sentiment de vérité redéfinit toujours la juvénilité de son propre diaphragme émotionnel. C’est exactement ce qui se passe aux toutes premières secondes de Banga, quand Patti Smith (1946) entame ce onzième disque studio de son fameux parlendo, « They’re going to see the world », dit-elle gravement enjouée. Le moment, intensément proustien, ramène à la sortie du tout premier single de Patti, en 1974, alors qu’elle introduisait la reprise d’Hey Joe par ces mots: « Patty Hearst, you’re standing there in front of the Symbionese Liberation Army flag with your legs spread. » (1). Nous revoilà donc comme immergé en ces mornes mid-seventies, Patti détroussant les cadavres sublimés de Keith Richard et de Rimbaud, entre cri primal et périple imaginaire en Abyssinie ramenés vers le Lower East Side. Patti pleine d’égards envers le romantisme et ses calendes poétiques qu’elle fracasse alors sur l’autel du punk new-yorkais en compagnie de Lenny Kaye ou Tom Verlaine.

Gravité des thèmes

Tous deux présents sur cet album, qui a globalement plus de panache, de grâce et d’atmosphère que n’importe quel autre disque smithien réalisé depuis les années 80… Banga est le produit de quatre années éclatées entre reconnaissance littéraire -la parution de la bio à succès Just Kids- et voyages divers. Ces derniers, comme l’explique Patti dans les notes de pochette, débutent par dix jours de croisière en Méditerranée pour les besoins du Film Socialisme de Goddard (sic). Si elle rajoute un « d » au grand Suisse, c’est peut-être parce qu’il a fait naître l’inspiration, tout comme la lecture dévorante de l’oeuvre de Mikhaïl Boulgakov, écrivain russe tenté par le fantastique. Cela et d’autres moments passés entre Puerto Rico, l’Italie et des sessions aux mythiques Electric Lady Studios de New York (2), dessinent des chansons mouvantes et charnelles, transcendant la gravité des thèmes. Bien entourée de ses compagnons historiques (Kaye, Verlaine, Jay Dee Daugherty) comme de ses enfants Jesse et Jackson, Patti célèbre la vie. En rendant hommage aux victimes du tsunami nippon (Fuji-San) ou en repartant sur les traces du grand cinéaste russe mort en exil en 1986 (Tarkovsky), elle dévoile une fraîcheur volubile qui nourrit aussi un slow rétro (This Is The Girl) et le plus beau moment du disque, dédié à l’actrice Maria Schneider (Maria), elle aussi précocement disparue, en 2011. Et puis, complicité des vieux entre eux (?), Patti clôture sur une version d’After The Gold Rush de Neil Young, qui s’éteint sur des chants d’enfants. Jolie boucle, madame Smith.

Philippe Cornet

(1) HÉRITIÈRE DE L’EMPIRE FONDÉ PAR WILLIAM RANDOLPH HEARST, PATTY EST ENLEVÉE PAR UN GROUPE D’EXTRÊME-GAUCHE DÉBUT 1974 EN CALIFORNIE AVANT D’ÉPOUSER LEUR CAUSE.

(2) OUVERTS PAR HENDRIX EN 1970.

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