Serge Coosemans

Tagada, tagada, nous voilà à Dalston

Serge Coosemans Chroniqueur

En vadrouille à Londres, notre chroniqueur en a découvert le quartier le plus branché, pour se rendre compte que comme partout ailleurs, les gens y portent des bonnets de laine et des Converse trouées. Road exit, S02E12.

Il est depuis quelques temps fait grand cas d’un quartier de Londres du nom de Dalston. Epicentre de la hype pour les uns, réserve naturelle de couillons prétentieux pour les autres, ce coin relativement décentré de la capitale britannique fait mousser et forcément railler l’internationale hipster, qui l’encensa en 2009 pour mieux le flamber en 2011; avant d’aujourd’hui finalement le banaliser dans l’imaginaire noctambule. Lorsque j’y débarque ce jeudi 15 novembre 2012 au soir, je ne m’attends pas à voir confirmé ou infirmé le moindre préjugé. Cela fait tout juste 6 ans que je n’ai plus foutu un orteil à Londres, ville qui m’était avant cela relativement familière, et j’ai perdu toute connaissance de sa cartographie culturelle, nightlife et pop. Lors de mon dernier séjour ici, il y avait encore des disquaires, ainsi qu’une scène rock locale post-Libertines très active sur MySpace, et qui était relativement excitante (Dustin’s Bar Mitzvah, Neils Children, Towers of London…). Il ne reste plus grand-chose de cela, même si des rumeurs de reformations de ces bands bruissent parfois. L’underground local n’a plus rien de très particulier, plus rien de typiquement insulaire, de fièrement british. Plus grise, sale et touristique que jamais, avec en supplément un climat d’automne frigorifiant, la ville ronronne tranquillement sur ses acquis et ses arnaques et ne propose fondamentalement rien de plus, ni de moins, qu’ailleurs. Comme pour illustrer ce constat de déclin du pop-punk britannique, le groupe que nous venons ce soir voir à Dalston est suédois.

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Ce sont ces marlous de Holograms, une bande de jeunes têtes de noeuds qui pratiquent un post-punk crasseux très influencé par Joy Division et Buzzcocks. Sur disque, ces types qui parlent habituellement le viking pour se commander des bières dans un crâne, fanfaronnent avec des accents british totalement exagérés, le genre qui s’apprend devant les films de Michael Caine. C’est dans l’arrière-salle d’un pub délabré mais chaleureux, le Shackewell Arms, qu’ils vont tenter de convaincre une poignée de Grands-Bretons de leur génie sonique. Nous, les Belges moqueurs, on s’attend un peu à ce qu’ils se fassent vanner l’accent dès qu’ils l’ouvrent car on ricane des crétins de Parisiens qui nous balancent des « une fois » en guise de ponctuation. C’est raté pour la rigolade: en quelques riffs seulement, les Holograms ont totalement conquis l’assistance, avec leur musique certes pas originale pour un penny mais foutrement énergique, très généreuse, et tellement survoltée que la légendaire flegme britannique se perd totalement dans des pogos très amusants à regarder. Tout cela is very funny mais on en revient à la conclusion du paragraphe précédent: jadis, j’aimais sortir à Londres pour les looks extravagants, l’arsouillerie cockney et l’impression de se coltiner dans les oreilles la musique de trois ans plus tard. Or, ce qui se passe là, on l’a aussi à Bruxelles, notamment du côté de Recyclart et de Madame Moustache. On l’a partout, en fait. Le public, c’est l’Internationale des Porteurs de Bonnets de Laine, chaussée de la collection Automne-Hiver 2012-2013 des Converse trouées. Je ne trouve plus aucune culture locale là-dedans. Par contre, je kiffe grave que mes amis qui habitent la ville depuis des années me racontent Dalston, me disent que le vénérable Stephen Fry y possède une maison et, si on est malin, plutôt africain, et surtout friand d’expériences culinaires plus borderline encore que la panse de mouton farcie, que l’on pourrait y dégotter de la viande de ragondin dans les arrière-boutiques de bouchers éthiopiens. Yeah, du ragondin!

Le concert terminé, nous quittons le Shackewell Arms pour le Dalston Superstore, un bar nettement plus coté sur l’échelle de la hype. Il y a quelques années, c’était un endroit réputé trash, où, selon la légende, il arrivait que les gens dansent complètement nus et que lors de la fouille à l’entrée, les videurs se mettent à collectionner les armes blanches, les plates d’alcools et les pacsons de drogues. Ce soir, vu la quantité de touristes et d’étudiants, ce sont surtout des A to Z et des Oyster Cards que papouillent les portiers, au demeurant vraiment sympathiques. Du nom de T Club, la soirée est en fait très bon enfant, dénuée de la moindre prétention, avec son concept transgenre tranquillou ouvert à tous et ses DJ’s qui savent à peine mixer et ont pour noms The Librarian, Shampain et Felix the Barber. Le premier mixe du rockabilly classique et évident, bien plus proche d’une playlist de Radio Nostalgie que d’un rêve mouillé des Cramps et celui qui enquille sait à peine enchaîner deux disques, collectionne les erreurs techniques et parvient à caler du Rihanna juste après un bon vieux classique d’acid-house. Personne ne s’en offusque, tout comme il n’y a que nous pour tiquer du fait que le veejay passe sur le mur des images de La Cage aux Folles, sommet de ringardise qui semble ici pris au trente-quatrième degré (Do you know Michel Serrault? He’s dead). Autre point positif et non des moindres: le prix des shots de vodka. Bam, bam, zbem, ça défile comme la relève de la garde à Buckingham, nothing can stop us now, de moins en moins de choses nous étonnent et, à vrai dire, nous importent, sinon la très joyeuse ambiance… de boum universitaire. Il y a beaucoup de femmes à moustaches, remarquons-nous tout de même un moment, et je parle de vraisemblablement vraies moustaches et pas forcément de postiches dignes du MI6. Paraîtrait en effet qu’une mode underground pour certaines lesbiennes consiste à se prendre des doses massives de testostérone, histoire d’avoir du poil facial à tailler. Vrai? Who cares. Shocking? Pas une seule seconde. A vrai dire, l’Angliche restant fondamentalement uptight du ass malgré toutes ses excentricités, ce sont en fait nos pelles de pornstars roulées sur le trottoir, mon amoureuse et moi, qui en choqueront plus d’un. Les Britanniques ont inventé la culture MDMA et la guerre à la baïonnette, ont foutu des requins tronçonnés en deux dans leurs musées et cavalent torses nus même en hiver mais ça leur trouera définitivement toujours le fondement de voir un peu de passion continentale sortir d’entre quatre murs. Tagada, tagada, à Dalston, dans ces cas-là, y a plus personne!

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