Critique

I wish I knew

DOCUMENTAIRE | Jia Zhang-Ke poursuit son exploration des mutations de la Chine à travers un documentaire en forme de portrait en mouvement de Shanghai.

Voilà un moment déjà que le cinéma de Jia Zhang-ke se décline en une exploration des mutations de la Chine, une entreprise poursuivie avec un égal bonheur de fiction (Still Life, autour de la construction du barrage des Trois Gorges) en documentaire (24 City, suite au démantèlement d’une ancienne usine d’armement) . Auscultant le présent de son pays, le réalisateur de The World en interroge également le passé, une démarche qu’il applique aujourd’hui à Shanghai, à la faveur de I Wish I Knew.

Construit autour de 18 témoignages, le film retrace l’histoire récente de la mégalopole à l’aide de la voix de ceux qui l’ont vécue, âmes de Shanghai dont le destin fait écho à celui, mouvementé, de la ville, avec pour ligne d’horizon l’exposition universelle de 2010 -le film a été commandé à cette occasion, en effet. La première image qui ressort de ce roman de Shanghai est d’ailleurs celle d’un matériau en chantier -les travaux barrant la vue, en même temps qu’ils occupent l’espace sonore. Bientôt, toutefois, les intervenants se succèdent, composant le portrait en pointillés d’une ville qu’ils ont quittée pour certains, entraînés par les soubresauts de l’Histoire. Une perspective que Jia Zhang-ke appréhende à l’abri de toute considération pédagogique, mais bien sous la forme d’un kaléidoscope d’impressions et de souvenirs poignants qui balaient une ligne courant de l’ex-concession internationale à l’effervescence contemporaine, en passant par la Révolution culturelle et autres épisodes marquants. Perspective à laquelle le réalisateur en superpose bientôt une autre, ajoutant aux images, d’archives ou présentes, des extraits de films ayant Shanghai pour cadre.

Grâce discrète

Plus qu’une coquetterie ou un ravissement pour cinéphiles -qui retrouveront là Nos années sauvages de Wong Kar-wai comme Suzhou River de Lou Ye, et jusqu’à l’insurpassable Springtime in a Small Town de Fei Mu-, ce regard cinématographique accompagne les mouvements de l’Histoire (avec l’un ou l’autre moment cocasse, comme lorsque l’un des membres de l’équipe shanghaienne de La Chine d’Antonioni évoque leur différence de perception), et s’inscrit dans un environnement urbain mouvant. Jia ne se contente du reste pas d’ouvrir, ce faisant, l’album du cinéma chinois, enregistrant par exemple les témoignages de Hou Hsiao-Hsien ou de Rebecca Pan, il emmène aussi I Wish I Knew dans un espace fécond où la rigueur documentaire s’enrichit d’incursions dans l’imaginaire.

L’émotion pointe alors avec une grâce discrète, tandis que se confondent pulsations du présent et vibrations du passé. La réussite est donc au rendez-vous; tout au plus manque-t-il peut-être à I Wish I Knew ce soupçon de lyrisme mélancolique que la divine Joan Chen venait conférer à 24 City pour en faire un authentique enchantement…

I WISH I KNEW, DOCUMENTAIRE DE JIA ZHANG-KE. AVEC LES TÉMOIGNAGES DE WEI WEI, HOU HSIAO-HSIEN, BARBARA FEI. 1 H 58. SORTIE: 11/05. ***

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Jean-François Pluijgers

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