Critique | Livres

Journal d’un journal

PRESSE | Pendant 3 mois, Mathieu Sapin s’est installé au coeur de la rédaction de Libération. Carnets et crayons à la main, il nous raconte Libé à ciel ouvert.

« Bonjour, je m’appelle Mathieu Sapin. Je suis auteur-dessinateur de bandes dessinées et je réalise en ce moment un reportage BD sur Libération. Des archives à la machine à café, du garage aux salles de rédaction, vous pourrez me croiser dans les couloirs du journal. Merci d’avance pour votre accueil. » C’est à l’aide de quelques affichettes disséminées aux endroits stratégiques de la rédaction que Mathieu Sapin annonce son arrivée au sein du quotidien. « Au début, j’avais l’impression d’être transparent. J’ai donc trouvé le truc des affiches pour que les gens comprennent mon travail. Une fois qu’ils ont mis une fonction sur mon visage, j’ai pu mener mon enquête comme je l’entendais. Certains ont même fait des efforts considérables pour que je puisse les suivre dans des endroits difficiles d’accès. » Mais pas de scoop à l’arrivée. Mieux, lors de moments chauds, Sapin, en parfait dilettante, ne se trouve pas au bon endroit au bon moment. Ainsi, quand la bombe DSK explose, un dimanche soir, dans les rédactions parisiennes, le dessinateur crayonne sur la Croisette pour le Festival de Cannes. « J’ai complètement raté la manière dont le début de cette affaire a été vécu au sein de la rédaction. On ne peut pas être partout. Le traitement de l’information implique en permanence des frustrations. Ce qui me fait dire qu’il existe une accoutumance à l’actualité. Tous les journalistes sont drogués à ça. » Hormis pour rencontrer les actionnaires du journal, le dessinateur avoue n’avoir éprouvé aucune difficulté. Les seuls reproches qu’il a dû essuyer étaient les rouspétances bienveillantes des personnes qui ne se reconnaissaient pas sous son trait ou qui ne se souvenaient plus d’avoir proféré les propos retenus par Sapin.

Mise en abîme

Sur le fonctionnement d’une rédaction ou l’image qu’il se faisait de la profession, l’auteur a également dépoussiéré une image quelque peu désuète. « Si au début de l’expérience j’avais en tête des récits d’Albert Londres, Kessel ou encore Truman Capote, ma perception du travail de journaliste n’a pas vraiment changé. Je me suis juste rendu compte que l’on était très loin du travail solitaire d’un seul homme. Si la matière d’origine du métier est toujours l’enquête d’un journaliste qui va lire, écouter, recouper ses informations avant d’écrire un article (qui pourra éventuellement sauter en fonction des caprices de l’actualité), je me suis rendu compte que la réalisation d’un seul numéro est, avant tout, un chantier colossal qui implique un nombre impressionnant de talents et d’énergie. On est très loin des anciens reporters vedettes qui portaient, à eux seuls, un titre… »

A l’arrivée, Sapin produit un véritable travail journalistique dans son cahier de 130 pages. A savoir: réussir à se faire oublier et observer pour tenter de rendre l’ambiance des coulisses d’un quotidien en pleine mutation. Son reportage, construit sur de nombreuses anecdotes, est une réussite qui ne devrait pas surprendre les professionnels des médias, mais qui éclairera les lecteurs curieux d’en apprendre plus sur les métiers de la presse. Le tout servi par un dessin minimaliste que Sapin réutilisera pour raconter le parcours d’un candidat aux prochaines élections présidentielles françaises.

Vincent Genot

Journal d’un journal de Mathieu Sapin, éditions Delcourt. ***

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