You will meet a tall dark stranger, l’annuel Woody Allen

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Révélée il y aura bientôt dix ans par « Mulholland Drive » de David Lynch, Naomi Watts suit depuis un parcours exemplaire. Qui la conduit, ces jours-ci, sur la planète Woody Allen, dans « You will meet a tall dark stranger ».

C’était en 2001, et David Lynch signait ce qui reste son chef-d’oeuvre à ce jour, Mulholland Drive, plongeant le spectateur au coeur d’un abîme vertigineux dans le sillage de Rita et Betty, la brune incandescente et la blonde diaphane, Laura Elena Harring et Naomi Watts. Identités fusionnelles à l’écran, les deux actrices allaient connaître des destins diamétralement opposés.

Si, de la première, on n’a plus eu que des nouvelles sporadiques (via Lynch, encore, et son Inland Empire, notamment), Naomi Watts allait, pour sa part, passer la surmultipliée, sa filmographie égrenant les noms d’Alejandro Gonzales Inarritu, Peter Jackson, David Cronenberg, Michael Haneke ou autre Tom Tykwer, auxquels est venu s’ajouter tout récemment celui de Woody Allen; ce qui ressemble, en tout état de cause, à un parcours exemplaire.

Mise en vitrine

« Tout ça, grâce à un seul homme, David Lynch », sourit-elle alors qu’on la retrouve, au printemps dernier, dans un palace cannois où elle s’affaire à la promotion de ce You Will Meet a Tall Dark Stranger (Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu en VF) qui consacre son arrivée dans l’univers du réalisateur new-yorkais. Les circonstances sont propices à raviver le passé: c’est à Cannes, en effet, que Watts est pour ainsi dire née au cinéma, Mulholland Drive mettant fin à des années de vaches maigres: qui se souvient aujourd’hui de Tank Girl et autre Never Date an Actress, tout un programme il est vrai?

« Revenir à Cannes dix ans plus tard est bizarre. Je me souviens de cette expérience de façon très précise. Jusque-là, toute ma carrière avait été une lutte. Et Mulholland Drive n’était pas engagé sous de meilleurs auspices: l’idée d’en faire une série télé avait été rejetée, et le projet avait été mis en veilleuse. C’est alors que les producteurs français sont revenus avec plus d’argent, pour que David puisse en faire un film. Un an et demi s’était toutefois écoulé entre la fin du tournage initial et le moment où on a fait les scènes additionnelles. Entre-temps, je m’étais faite à l’idée que ce ne serait qu’un plan avorté de plus dans ma carrière… »

La suite appartient à l’histoire, suivant l’expression consacrée, une histoire que l’actrice évoque, aujourd’hui encore, une lueur d’émotion dans le regard, de la réaction du public à l’issue de la projection officielle à la critique publiée par Todd McCarthy, le lendemain dans Variety, à ce point inouïe qu’on lui suggéra de s’asseoir avant de lui en faire la lecture. « Ce fut le tournant décisif… », observe-t-elle dans un souffle.

Si elle attribue une bonne part de sa réussite actuelle à un seul homme, donc, ce n’est nullement par fausse modestie. Questionne-t-on encore Naomi Watts sur la part respective des facteurs discernement, chance, intelligence et gestion avisée dans la poursuite de sa carrière qu’elle enfonce le clou: « Un peu de tout cela, sans doute. Mais j’ai surtout eu cette chance de jouer un rôle incroyable dans un film d’un cinéaste qui ne l’est pas moins. David Lynch m’a mise en vitrine, en quelque sorte, et c’est un réalisateur respecté de tous les grands metteurs en scène. Que ceux-ci aient fait appel à moi en a découlé directement. »

Blonde on blonde

Dernier en date, donc, Woody Allen, et son You Will Meet a Tall Dark Stranger. Le film, où elle campe une femme dont le mariage avec un écrivain raté s’enlise pour le moins, marque l’incursion de l’actrice dans un domaine qui ne lui était guère familier, celui de la comédie. Encore qu’en la matière, tout soit relatif: « J’ai surtout l’impression d’être le personnage sérieux dans un film plus léger », relève-t-elle, dans un sourire, qui s’élargit encore lorsqu’on lui demande d’évoquer le travail avec le réalisateur new-yorkais. « J’ai grandi, pendant toutes ces années, en appréciant le chaos qui règne dans ses films, l’atmosphère de vraie vie qui s’en dégage. C’est quelque chose que l’on ressent comme spectateur, et que l’on éprouve comme acteur: on est toujours vigilant avec lui, pas question de s’endormir. Il a une façon bien spécifique de faire les choses, à laquelle j’ai pris énormément de plaisir, à savoir qu’il travaille toujours en une seule prise, que la scène fasse deux ou huit pages, qu’elle implique deux ou cinq personnages. »

Si elle confesse qu’il y avait là quelque chose de tout à fait nouveau pour elle, Naomi Watts ajoute aussitôt s’être fondue sans difficulté dans l’univers si particulier de Woody Allen. « On s’engage dans un film comme celui-là en connaissant son style. C’est tellement unique, cela n’appartient qu’à lui, il ne vous reste qu’à vous y adapter aussi bien que possible. » Une réflexion qu’elle prolonge bientôt d’une autre: « Je suis quelqu’un qui dépend vraiment du réalisateur, insiste-t-elle. Je veux que l’on m’indique ce que je dois faire. Cela ne signifie pas que je ne me sois pas préparée, ni que je n’aie pas mon idée. J’ai un plan, que je suis prête, cependant, à jeter par la fenêtre: ayant travaillé avec d’excellents réalisateurs, je sais qu’ils ont des inspirations brillantes. Je veux me fondre dans leur univers, et saisir leurs idées. »

Ajoutez-y une volonté de privilégier la qualité de l’expérience au plan de carrière (ainsi, lorsqu’elle tourna Funny Games US pour Michael Haneke, « un exercice difficile, de son propre aveu, mais un metteur en scène extraordinaire à qui l’on ne peut que faire confiance ») et voilà que s’esquisse l’un des profils d’actrice les plus passionnants du moment. Tendance que ne devrait pas contredire un futur proche qui la verra incarner… Marilyn Monroe devant la caméra de Andrew Dominik, dans une adaptation du Blonde de Joyce Carol Oates. « C’est une telle icône: une femme merveilleuse qui est passée par tant de tragédies. D’une façon ou d’une autre, je pense que chaque femme s’identifie à elle. » Blonde ou brune, cela va sans dire…

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You Will Meet a Tall Dark Stranger, de Woody Allen, avec Naomi Watts, Josh Brolin, Lucy Punch. 1h38.

Sans être attendu avec la même impatience que par le passé, le Woody Allen annuel n’en reste pas moins un rendez-vous cinéphile obligé; un exercice désormais sans surprise, mais l’assurance, en principe, de quelques observations spirituelles sur le (non-)sens de l’existence. Ainsi de ce You Will Meet a Tall Dark Stranger qui convoque, sous des cieux londoniens, une galerie de protagonistes enchevêtrés dans les plis d’un destin contrarié. A savoir, en ordre dispersé, un homme d’âge respectable (Anthony Hopkins) décidant de mettre fin à 40 ans de mariage pour courir la bimbo monnayant ses services (Lucy Punch); son épouse défaite (Gemma Jones) s’en remettant aux conseils intéressés d’une voyante (Pauline Collins); leur fille, Sally (Naomi Watts), engagée dans un mariage poussif avec un écrivain raté (Josh Brolin), tous deux rêvant d’un ailleurs ayant les traits d’Antonio Banderas pour l’une, de Freida Pinto pour l’autre…

Avançant à front de leurs fantasmes, frustrations et illusions, Woody compose une variation en coin sur les aléas de la comédie humaine. Si l’auto-complaisance guette par endroits, un casting scintillant et un savoir-faire intact, à défaut encore du génie qu’on lui a connu, confèrent à ce Allen en mode médium un charme indéniable… (J.-F. Pl.)

Jean-François Pluijgers, à Cannes

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